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dimanche 14 avril 2013

épouser une hypothèse, ou ...



Dans tous les cas, mariez-vous : Si vous tombez sur une bonne épouse, vous serez heureux.
Si vous tombez sur une mauvaise vous deviendrez philosophe, ce qui est excellent pour l'homme.

Socrate



Bonjour à tous !


Dimanche dernier, il était question des époux.

 

En ce dimanche, comme promis dimanche dernier, il sera question du … mariage.


Four Weddings and a Funeral,
Mike Newell, 1994


Très curieusement, ce mot qui évoque l'idée de marier, d'appareiller, de mettre ensemble, d'unir, de réunir, d'allier, d'assortir, d'épouser…
Très curieusement, donc, ce mot brouille, divise, sépare la communauté des linguistes !

Amusant ! Comme la religion qui est censée relier, et dont les hommes ne cessent de se servir pour se diviser, s'entredéchirer... Mais ça, c'est moins amusant.

Je vais vous donner ma version des choses, basée sur les écrits de Calvert Watkins, mais vous présenterai également l'autre thèse, histoire de vous laisser choisir celle qui vous plaira le plus…

Précisons une nouvelle fois que le proto-indo-européen est une langue hypothétique, dont nous ne pouvons plus retrouver que les racines. Tout comme souvent nous ne retrouvons plus que les fondations d'édifices antiques sous nos villes actuelles.
Qui dit "langue hypothétique", dit aussi hypothèses. Et parfois, comme c'est le cas ici, plusieurs hypothèses sont en présence. A vous donc d'épouser celle qui vous paraît la bonne...

Commençons d'abord par ce qui est communément accepté :
le verbe marier, attesté au 12ème siècle - l'expression "se marier" étant attestée en 1170 - provient du latin marītō / maritare : "marier", dérivé de marītus ("le mari").

Là-dessus, tout le monde semble d'accord...

Et c'est à partir d'ici que ça m, euh soulève des débats.

La première version, classiquement répandue, et par ailleurs défendue par Wikipedia, avec de belles références comme le Gaffiot ou le Lewis & Short, est que maritusle mari est un dérivé du latin mas, maris : le mâle, le garçon.

Le latin mas, maris est probablement à rattacher à la racine latine *man-, qui est, elle, issue de la racine proto-indo-européenne *man-1, ou *mon-, que nous avons traitée dans Manneken-Pis, yeomen et autres moujiks, et dont bien évidemment dérive l'anglais man : homme.

En étant taquin, on pourrait ainsi supposer que le latin marita (la mariée), est en fait la garçonne, ou encore la femelle.

L'autre version, à laquelle va ma préférence - est que le latin maritus est un composé de mari, et de -tus.

Composé latin issu lui-même d'un composé proto-indo-européen *marito-, bâti sur la racine *mari- (Pokorny la retranscrit *meri̯o-) suffixée en *-to.

La racine proto-indo-européenne *mari- désignait tout simplement - mais remarquons-le, parfaitement à l'inverse de la première théorie !! - non pas le jeune homme, mais bien… la jeune femme !

Quant au suffixe *-to, il permettait de former des adjectifs marquant l'accomplissement de la notion de base.
Si cette notion était verbale, ils créaient un participe
(par analogie, pensez au é de mangé, basé sur le verbe mangermanger -> mangé) ;
 si la base était nominale, ils marquaient alors la possession 
(pensez au u de barbu, basé sur le nom barbe : barbe -> barbu).

*mari-to (*marito-) signifierait alors, littéralement, "en possession d'une jeune femme", que l'on pourrait entendre comme "à qui il est fourni une jeune femme, une jeune mariée".

En d'autres mots, la condition dans laquelle se trouve le jeune marié Indo-Européen.
Si, pour suivre notre analogie, barbe = femme, on dirait qu'il est femmu.

- Mais, mais ??? Et la femme alors ?? *marito- ne s'applique qu'à l'homme ?

- Mais…oui, bien sûr !
Cette notion de mariage "égalitaire", où mari et femme ont finalement les mêmes droits, mais c'est tout à fait récent !

Pour les peuples de l'Antiquité, et a fortiori pour les Indo-Européens, chacun avait un rôle précis à jouer dans la société, comme dans la famille.
Et la femme n'épousait pas ! Enfin, quelle idée !
La femme était épousée, nuance.
Son père la donnait en mariage à un homme.

En ce sens, les sociétés anciennes pratiquaient déjà le "mariage pour tous" si difficile à comprendre par certains de nos amis Français.
Mais dans l'Antiquité, il fallait bien entendu comprendre que le mariage ne s'adressait qu'aux hommes.
Le mariage pour toutes, c'était une tout autre histoire…



Tout est magnifiquement synthétisé par Benveniste, quand il explique que dans les langues anciennes, les termes relatifs au mariage sont différents s'ils s'appliquent à l'homme ou à la femme.
Mais encore plus fort : les termes applicables à l'homme sont tous verbaux, alors que pour la femme, ils sont nominaux : l'action est faite par l'homme (la demande en mariage, la conduite de la jeune épousée dans sa nouvelle maison ; on dit encore de l'homme qu'il prend femme …), alors que la femme, elle, n'accomplit aucun acte, mais voit simplement sa condition changer : elle est, n'ayons pas peur des mots, l'objet de la transaction que représente le mariage.

Pour résumer un peu abruptement, "se marier", donc, c'est, pour nos illustres ancêtres, un verbe masculin.

- Hé là Coco ! Oui mais non ! Parce qu'en français, on parle bien de matrimonial, comme dans "régime matrimonial". Matrimonial, c'est relatif au mariage, et pourtant ça vient bien du latin matrimonium !
Et dans matrimonium, il y a māter, mātris, la mère ! La femme donc ! Et toc !!

- Ah bonjour, je me languissais de vos interventions.
En effet, matrimonial vient du latin matrĭmōnĭum, qui peut se traduire par mariage.
Certainement.
Et d'ailleurs, on retrouve matrimonio pour mariage dans d'autres langues romanes, comme l'italien ou l'espagnol…

MAIS - car il y a bien un "mais" - matrimonial n'est pas le dérivé attendu du latin pour mariage, au même titre par exemple, qu'oculaire l'est pour "oeil", ou paternel pour "père".
Que nenni !
"Marier" n'a évidemment rien à voir (rien : nada, niente, nitchevo, que dalle) avec matrĭmōnĭum, mais tire bien son étymologie, comme nous venons de le voir, de marītō / maritare.

Littéralement, matrĭmōnĭum désignait la condition légale de mater, de la mère, donc (tous les dérivés en -monium étant des termes juridiques) (Euh sauf peut-être harmonium ?).

Matrĭmōnĭum peut donc se traduire par mariage, mais dans un contexte bien particulier, selon un point de vue bien précis et limitatif, ne s'applique qu'à la femme, et n'évoque en tout cas pas la notion de mariage telle que nous la connaissons.

Et n'allez pas penser que matrĭmōnĭum fût simplement l'équivalent féminin de patrĭmonĭum, qui renvoie bien au pouvoir du père, le pater familias.
Ah non, car là on n'y est pas du tout.
Encore une fois, la "symétrie homme/femme" n'était pas de mise ; par conséquent le mot matrĭmōnĭum calqué sur patrĭmonĭum n'en n'était pas la transposition littérale au féminin.

Il faut savoir que matrĭmōnĭum s'employait dans des expressions comme dare filiam in matrĭmōnĭum : donner sa fille "in matrimonium".
C'est du moins ce que le père de la future épousée faisait.
Du haut de son pouvoir de pater familias

La jeune fille, quant à elle, pouvait parler de "ire in matrĭmōnĭum": "se marier" si vous voulez, mais surtout, plus littéralement: accéder à la condition de l'épousée : devenir... mère.
Devenir légalement la mater familias.

Mais donc, pas question de matrĭmōnĭum pour le jeune marié.



Allez, quelques autres dérivés de la racine proto-indo-européenne *mari- ?

Marital, bien sûr, ou les anglais marriage et to marry, passés outre-Manche par leurs correspondants en vieux français...


- Oui, mais… Il n'y a donc pas de racine proto-indo-européenne pour mariage, en fait !
C'est encore un de tes coups foireux !
- Excellente déduction - du moins pour ce qui est de la première affirmation. Qui est en fait une négation, mais n'ergotons pas…
 
En réalité, je n'ai pas tout dit : les linguistes sont prudents, mais semblent s'accorder sur l'existence d'une racine proto-indo-européenne désignant bien le mariage - et non plus le jeune marié.

Mais ici encore, les débats font fureur.


Et ça, c'est pour la semaine prochaine...





Bon dimanche, bonne semaine à tous.
Et… à dimanche prochain…!





Frédéric

______________
Ah oui, encore un mot ! Vous vous étonnez du titre de cet article? Il vous faudra attendre dimanche prochain pour en connaître la fin...
Le post s'étend sur deux dimanches ? Le titre fait pareil.
C'est nouveau, ça vient de sortir.


article suivant : ...hypothéquer son mariage?

2 commentaires:

LeScrat a dit…

"C'est trahison de se marier sans s'épouser" (Montaigne) - Toute la finesse est là. Cocasse tout de même que l'espagnol emploie le même mot "esposas" pour désigner les "épouses" et les "menottes" ...

Frédéric Blondieau a dit…

Je préfère ne pas renchérir...! :-)