- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 16 juin 2013

Karaton (Aksungur), contemporain d'Olympiodore, 412-422, en était.


article précédent : Namasté, nomade économe !



- Karaton en était ?
- Mais oui, Karaton ("le noir" en langues turques),
dit aussi Aksungur ("le gerfaut blanc"),
fut le premier roi des...
Huns 


Ai pas trouvé de photos de Karaton,
voilà donc un faucon gerfaut


Bonjour à toutes et tous !


Nous commencions dimanche dernier une grande histoire étymologique des nombres…

Alors, allons-y, avec le premier de ces messieurs : "un".

Les Uns et les Autres, 1981, Claude Lelouch.
Un de mes films préférés...


"Un", n'y allons pas par … quatre … chemins, nous vient de la racine proto-indo-européenne…

*oi-

surtout, il faut bien le dire - représentée par une forme suffixée - dialectale -


*oi-no-

Signifiant "un", ou encore "unique".

Notez cependant que pour certains linguistes, *oi-no- était à prendre comme "celui-ci, ceci", ou même encore le défini "il, elle".

*oi-no-, quoi qu'il en soit, a ensemencé pratiquement toutes les langues indo-européennes !


Si si, j'ai osé : Yoko *oi-no-


C'est en l'occurence par l'adjectif numéral latin ūnus ("un"), que *oi-no- est arrivé jusqu'à nous en français moderne, avec "un" utilisé pour désigner l'unité ou l'indéfini, mais aussi des mots comme union, unité, unanime, univers, et d'une façon générale, tous ces mots commençant par uni-


L'anglais "one", quant à lui, descend de *oi-no- par le germanique *aina-, devenu ān ("un") en vieil anglais.

SUPERBE bande originale...!

Mais l'anglais doit encore à la racine proto-indo-européenne *oi-no- quelques autres mots, comme, à l'image du français "un", a/an (l'indéfini "un, une"), mais aussi alone (seul), lonely (solitaire)…

Tiens, saviez-vous qu'à l'origine, "one" se prononçait "onne" comme dans le français c… euh bonne ?
Et non "ouane" ; la prononciation de la voyelle se transformant vers la fin du Moyen-Age.


Pour revenir à notre *oi-no-, c'est par une forme suffixée *oino-ko- que la racine nous a donné le latin ūnicus : seul, unique, dont nous avons tiré le français "unique", bien entendu.

Unique


Et c'est aussi sur cette variante *oino-ko-, mais cette fois par le germanique *ainaga-, puis le vieil anglais oenig, que l'anglais "any" ("chaque", "chacun" ...) s'est créé.

Plus surprenant, comme dérivé de *oi-no-, est le français once.

Une once d'or

Dérivé de l'unité latine ūncia, désignant 1/12ème (et non 1/11ème !) de livre romaine.

Le latin lībra pour livre dérivant lui du grec ancien λίτρα, lítra : une mesure de poids grecque utilisée en Sicile, dont est naturellement tiré… litre !

Notez, tout le monde n'est pas d'accord chez les linguistes sur l'origine de lībra, d'aucuns y trouvant plutôt un lien de parenté avec un étymon étrusque.

Quoi qu'il en soit, on suppose, mais sans rien affirmer, que le latin ūncia devait avoir comme sens premier "unité de base".

- Bon, admettons, mais POURQUOI compter en base 12 ??? 'faut pas être bien dans sa tête, quand même… !
- Bonjour ! Oui, cela paraît assez surprenant. Mais il y a une bonne raison… Au moment de diviser !!!

Essayez de diviser 10 par 3, ou par 4, et comparez avec la division de 12 par ces mêmes nombres: avec 12, on tombe sur un nombre entier !
Nettement plus facile pour diviser une quantité d'oeufs, par exemple, sans en faire prématurément d'omelette…

10/2=5 --- 12/2= 6
10/3=3,3 - 12/3= 4
10/4=2,5 - 12/4= 3

Et puis, 12 est universel, ou du moins mondial !
Car on peut supposer que de tous temps et en tous lieux, l'Homme a observé qu'une année, qu'un grand cycle des saisons donc, équivalait à 12 lunaisons complètes.

- Ouais coco, mais encore une fois, c'est du grand n'importe quoi ! Comment ils faisaient, les Romains, pour compter 12? En employant quelles parties du corps?? 10, c'est deux mains ! Mais 12 ?
- D'accord ! 12, notez, c'est aussi deux mains plus une main gauche de Django Reinhardt, mais bon, j'en conviens, les Romains n'étaient pas réputés pour pratiquer le jazz manouche.

Le PRODIGIEUX Django !

Apparemment - c'est ce qu'on apprend - le calcul en base 12 se faisait en comptant les phalanges de la main, mais en omettant celles du pouce (puisqu'il était utilisé pour compter les phalanges des autres doigts).

Personnellement, ÇA, ça me paraît totalement absurde, inepte et ridicule.
Car si vous ME demandez de compter mes phalanges, je le ferai...
  • de 1. avec l'index, et non le pouce, et…
  • de 2. en parcourant (de mon index - essayez de le faire avec le pouce !) les phalanges de l'AUTRE main.


Enfin, passons… (Voyez le PS en fin de post !)

Ce qui est certain, c'est que l'avantage de divisions qui tombent juste explique que les systèmes de mesure aient longtemps comporté des sous-multiples en douzièmes (12 pouces dans un pied, 12 pennies dans un shilling, 12 deniers dans un sou, 12 pièces dans une douzaine, 12 douzaines dans une grosse, 12 grosses dans une grande grosse, etc).

Oh, on peut toujours continuer :
12 grandes grosses dans une très grande grosse,
12 très grandes grosses dans une vraiment très grande grosse,
12 vraiment très grandes grosses dans une énorme grosse,
12 énormes grosses dans une énorme grosse mais alors grosse de chez grosse,
12 énormes grosses mais alors grosses de chez grosses dans une etc...
...

Ces anciens systèmes ont été abandonnés partout, sauf peut-être chez quelques peuples frustres…
Allez, non, disons plutôt "conservateurs".
Je ne veux pas me fâcher avec mes amis d'outre-Atlantique…


Ah oui ! Et l'anglais "ounce" provient lui aussi du latin ūncia. Vous vous en doutiez.

Tout comme l'anglais … inch !
Le 1/12ème d'un pied. (Ah oui? Et on comptait les pieds sur les phalanges des mains, peut-être ? Avec ses gros orteils ??)

Un inch, un pouce, en français, c'est 2,54 centimètres.

Oui, passer de ūncia à inch semble curieux…
Le changement du u en i est un cas d'umlaut propre aux langues germaniques ; quant à la transformation du c (prononcé "k") en ch, il s'agit d'un exemple de palatisation typique à la phonologie du vieil anglais.

Loin des inches calculés par gros orteils, nous retrouvons encore la racine proto-indo-européenne *oi-no- dans les langues slaves.
En vieux slavon d'église, on connaissait ѥдинъ ("jedinŭ") pour "un" ; en russe par exemple, nous avons conservé один ("adínne")


Rappelez-vous, nous avions commencé ce dimanche en notant que *oi-no- était une forme dialectale de *oi-.

D'autres formes dialectales de cette racine ont existé - ce qui permet justement de qualifier toutes ces formes différentes de "dialectales", propres au parler d'une région…

Ainsi, nous pouvons retrouver des traces de la racine proto-indo-européenne *oi- sous les formes *oi-wo- ou *oi-ko- qui se sont déclinées dans les langues indo-aryennes et iraniennes, comme par exemple en…:
  • sanskrit एक (éka)
  • pendjabi: ਇੱਕ (ika)
  • bengali: এক (ek)
  • indonésien: eka
  • kurde: yek
  • vieux perse: aiva-
  • perse: یِک (yek)
  • tadjik: як (yak)
  • ossète: иу (iu)



Une toute petite remarque…

"Un" est le premier des nombres dont nous parlons.
Et nous avons coutume de considérer "premier" comme l'ordinal du cardinal "un".
Tout comme deuxième est l'ordinal de deux

Oui. Sauf que "premier" n'a rien à voir - étymologiquement du moins - avec "un".
D'ailleurs, nous utilisons très souvent un autre mot comme ordinal de un, dans les mots composés :

Ne disons-nous pas "vingt-et-unième", et non pas "vingt-et-premier"

Eh oui, unième existe, même si son emploi est limité, et est étymologiquement nettement plus cohérent.

Mais "premier", alors?
"Premier" nous vient d'une autre racine proto-indo-européenne, *per-1, signifiant notamment "devant".
Ce qui correspond bien à la notion de premier.

La racine *per-1 est tellement riche en dérivés de toutes sortes que nous pourrions lui consacrer,  à elle seule, plusieurs articles.
Je retiens l'idée pour plus tard…



Maintenant, comme mot de la fin, au risque de rendre les choses un peu complexes, je dois vous avouer qu'en réalité, (au moins) deux racines proto-indo-européennes permettaient de désigner le concept de "un".

La plus représentée est bien *oi- / *oi-no-, qui servait à compter.
Et désignait également l'unicité, l'isolement.

L'autre racine qui signifiait "un", dénotait, elle, plutôt l'union, la complétude.

Ah ah !

On l'utilisait - du moins on le suppose - quand on voulait mentalement regrouper plusieurs choses différentes pour les considérer comme un tout cohérent, ou quand on considérait plusieurs choses diverses comme identiques. Cette autre racine, c'était …

Ah, ça, ce sera pour dimanche prochain !






Bon dimanche, bonne semaine à toutes et tous,

A dimanche prochain !






Frédéric


PS :
Alors, pour le coup du pouce et le comptage des phalanges ! Ben oui, c'est parfaitement valable, si on compte sur ses phalanges PAR LE BAS ! SOUS les doigts ! Et là, le pouce devient indispensable, et tout s'éclaire ! Merci à mon correspondant de me l'avoir expliqué !
Moi, benoîtement je regardais mes mains sur le clavier, donc vues d'en haut...!

Il suffit parfois de peu pour voir les choses différemment.
Pour changer de point de vue, parfois, il suffit de changer de point de vue...


3 commentaires:

LeScrat a dit…

Bonsoir ! Il est clair que le "12" (qui se compose d'un "1" et d'un "2") a une valeur hautement symbolique dans de très nombreuses civilisations, et est présent à toutes les époques dans tous les domaines,"réels", philosophiques ou religieux. Rien d'étonnant qu'il ait servi de base pour compter, partager (fractions)ou délimiter le monde, le temps, et même le ciel.
Donc, c'est ce "*oi-no-" qui a donné naissance à presque tous les "1" (de un, uno, um à een, ein, einn, en). Tiens, en passant, le napolitain et le sicilien l'on réduit à sa plus simple expression (à cause de la torpeur induite par le climat sans soute), respectivement à "O" et "U" comme article défini, l'indéfini étant "un" ou "nu". Un dialecte lombard le prononce avec un vrai "U" à la française : "Ugn"
La négation de ce "1", en Latin c'est "Nec..unus" ou "Ne Ipse Unus", nous a livré: nessuno (It), ninguno(ES),ninguem (Port), degun (Occitan) et même le "none". Je réalise à l'instant que d'autres langues insistent sur la "personne" pour dire.."personne" (dont le français !) et suppose que "niemand" (no man ?) correspond mieux à "pas un, nul" , "никто"(nikto =pas un) en russe.
Enfin je m'interroge:"un"= unique c'est tout le contraire de "un" = n'importe lequel!! Et plus existentiel encore être "alone" c'est bien pire que d'être sans "quelqu'un" (vite un xanax!)
Mais restons positif ! Décidément, non, les dimanches ne sont plus pareils... Merci Fred, c'est unique, formidable!
Il me reste une...once d'énergie, m'en vais perdre une partie de UNO en écoutant http://www.youtube.com/watch?v=sMQ1lJGXsZ0 ou mieux encore "Nessun dorma".
Ps. A l'occasion si tu pouvais nous révéler d'où viens l'usage de "раз" (raz) dans le comptage en russe ? Merci.

Anonyme a dit…

En vrac:
jeden/jedna : aussi en tchèque, même signification (1)
vi er enig (dk): we agree => nous sommes un :-)
par contre enige (nl): plusieurs ? :-)

LeScrat a dit…

Donc : Un pour Tous... Tous pour Un !
"единогласие" (iédinaglassyé): c'est à la fois l'unanimité (de points de vue(=glas)) et l'unisson ...