- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 25 novembre 2012

Quel foin pour une femme en faon...






Dimanche dernier, nous avions traité de la racine proto-indo-européenne *weiə- à l'origine de "viril" (voir Fergus le loup-garou est un virtuose de la violence).

Le dimanche précédent, nous parlions de *man- (in Manneken-Pis, yeomen et autres moujiks), à l'origine du mot anglais "man".

Et le dimanche d'avant, nous avions, avec la racine proto-indo-européenne *dʰǵʰm̥mō (voir Terre des hommes? Pléonasme!), évoqué le mot "homme".


Toujours dans notre cycle des "mots basiques", nous allons à présent - oui, il était temps - parler de … la femme!

Ou plutôt du mot femme, soyons clair! Ce sera surtout plus facile, et certainement bien plus court!
Et puis, ainsi je ne devrai pas terminer toutes mes phrases par un point d'interrogation...


Brigitte Bardot dans Et Dieu créa la femme,
Roger Vadim, 1956


Allons-y!

Femme nous vient de la racine proto-indo-européenne 

*dhē-

à laquelle s'attache le sens de … sucer, téter!


Eh oui! La femme, étymologiquement, est celle qui donne la tétée, celle qui allaite.

*dhē- est devenu, à partir d'une forme suffixée *dhē-mnā, fēmĭna en latin: "femelle d’animal", puis "femme", et "épouse"

Nous retrouvons cependant la notion d'enfanter dans le latin fēmĭna, quand nous savons qu'il était le participe moyen substantivé du verbe *feo ("enfanter", "pondre", et par extension "produire"), lui-même issu de *dhē-.

De fēmĭna nous avons naturellement tiré femme, mais aussi féminin, femelle ou efféminé.


La même racine proto-indo-européenne *dhē-, mais cette fois suivie du suffixe *to - sous donc la forme *dhē-to - et en passant par le latin fētus, qui signifiait enfantement, portée de petits, a donné, vous vous en doutez, les français fœtus, fœtal.

Foetus contemplant la Terre,
scène de fin de 2001: A Space Odyssey,  1968
de Stanley Kubrick 


Mais aussi faon, le petit d’une biche, d’une daine ou d’une chevrette.

En ancien français le mot fait feün, foün ("petit d’animal") - d'où nous vient d'ailleurs fawn (faon en anglais), provenant du latin vulgaire feto, fetonis "petit d’animal", évolution du latin classique fetus.

Faon


Quant à l'adjectif "superfétatoire" que l'on utilise dans le sens de "qui est superflu, inutilement ajouté, qui vient en sus, de façon peu naturelle", originairement il qualifie la naissance d’un second enfant après le premier et dans un écart de temps qui dénote une superfécondation.

Le mot se compose de feto précédé du préfixe super-.
A l'infinitif, superfetāre c'est concevoir de nouveau.

La superfétation est, en biologie, la conception d'un fœtus, lorsqu'il y en a déjà un dans la matrice.
Par exemple la hase, femelle du lièvre, peut être fécondée alors qu'elle n'a pas encore mis bas grâce à une seconde matrice.


Associée cette fois au suffixe *kwondo, *dhē-, formant ainsi *dhē-kwondo, nous est parvenue, par le latin fēcundus - fécond, pour donner féconder, fécond, fécondation.


Plus curieux est la parenté de la racine *dhē- avec le … fenouil!

Fenouil

A l'origine, notre racine proto-indo-européenne, suffixée en -no: *dhē-no

Nous le savons déjà, *dhē- s'est dérivée dans le latin *feo ("produire, enfanter").
D'où provient fēnum, neutre de fenus (ou faenus), qui s'employait dans le sens de "produit, bénéfice": intérêt de l’argent prêté, usure, profit, gain.
Mais signifiait également l'herbe, le foin (production courante de l'agriculture).

Le latin classique fenĭcŭlum "fenouil" n'est que le diminutif de fēnum.
En bas latin, fenĭcŭlum s'est altéré en fenŭcŭlum, sur lequel s'est souché le vieux français (1176) fenoil.


Et donc, oui "foin" est également un produit de notre racine *dhē-!

Le foin, herbe fauchée et séchée qui sert principalement à la nourriture des chevaux et des bestiaux, nous arrive du latin fēnum (au sens identique).

Nous retrouvons encore nettement la filiation avec fēnum dans fenaison, l'action de couper et de faire sécher les foins sur le pré, qui par extension désigne également l'époque à laquelle on coupe les foins.

Femme et foin: parfaite association


Pour revenir à fenouil, il est intéressant de constater que le terme italien pour fenouil: finocchio, désigne toujours, (très) vulgairement, un homosexuel ; entendez quelqu'un d'efféminé.


Bon, il faut quand même le mentionner: nous devons à *dhē-, toujours dans le sens de sucer, téter, mais cette fois sous une forme suffixée *dhē-lo, la fellation.

Merci *dhē-.


Non, pas d'illustration.



Et ce n'est pas tout!

La racine *dhē-, sous une forme *dhē-l-īk, s'est dérivée dans les français félicité, féliciter, ou même Félix.
Tout cela par le latin fēlīx, qui signifiait étymologiquement "fécond", pour signifier ensuite "propice", et enfin "heureux".

Felix Baumgartner


Allez, une chtite dernière pour la route:

*dhē- flanquée du suffixe -lā (donc, sous la forme *dhē-lā), nous a servi à créer le mot épithélium, du latin moderne et scientifique epithēlium, lui-même basé sur le grec ancient ἐπί "sur" et θηλη ́ - thēlē: "téton, mamelon".

L'épithélium, c'est le tissu fondamental formant soit un revêtement externe (en surface de la peau) ou interne (en surface d'une muqueuse), soit une glande.

Epithélium

Mais euh, quel rapport avec le téton me direz-vous?

Eh bien, le mot a tout simplement été d'abord appliqué à la pellicule qui recouvre le mamelon du sein.

Et, en perdant le sens étymologique original, on a calqué les mots endothélium et mésothélium sur épithélium, pour désigner respectivement:
- endothélium: la couche la plus interne des vaisseaux sanguins, celle en contact avec le sang, et
- mésothélium: la couche de cellules recouvrant l'intérieur des tuniques séreuses telles que le péritoine, le péricarde ou la plèvre pulmonaire.




Bon dimanche, bonne semaine à toutes et tous!




Frédéric


Psssst! Lisez aussi...
The Queen, une femme comme les autres


article suivant: histoire de famille

dimanche 18 novembre 2012

Fergus le loup-garou est un virtuose de la violence





Troisième volet dans notre cycle des "mots basiques" !

Lors des deux derniers dimanches (voir Terre des hommes ? Pléonasme !  et Manneken-Pis, yeomen et autres moujiks), nous avions parlé de racines proto-indo-européennes à l'origine des mots homme et man.

Eh bien, nous allons continuer, non pas avec une racine évoquant le mot femme mais avec encore(!) une autre racine évoquant la notion d'homme.

Cette racine, plus précisément, est derrière le mot "viril".

Mais elle nous a donné d'autres mots, bien connus, que pourtant nous n'associons pas nécessairement les uns avec les autres, et encore moins avec cette racine.

Pour cette raison, elle mérite toute notre attention!

Cette racine proto-indo-européenne, dévoilons-la à présent :

*wī-ro- (ou *wiHrós- selon la retranscription choisie) : "homme"

*wī-ro- , comme vous le constatez, est déjà un composé (dans sa forme la plus ancienne supposée, il s'agirait de *wihx-ro).

Il nous faut donc d'abord aborder les deux composants de ce composé !

*-ro- est tout simplement un suffixe adjectival, en d'autres termes utilisé pour la constitution d’un adjectif à partir d’un nom.
Même principe pour le français chant qui a donné le mot chanteur par l'ajout du suffixe -eur.

D'accord, mais quid de *wī- ?

Il s'agit en fait de la forme au degré zéro de la racine *weiə-, qui véhiculait des notions comme "courir après quelque chose", ou "poursuivre avec vigueur, désir".

Sous sa forme nominale, elle évoque la force, le pouvoir

*wī- est à l'origine du latin vīs : la force, qui a donné des dérivés irréguliers comme viōlare : traiter avec violence, et violentus : violent, véhément.

Sous une forme suffixée au degré "o" (pas zéro, o!) - avec donc un beau o comme voyelle dans le radical : *woi(ə)-tyā, *weiə- nous a donné gain, ou gagner !
De l'ancien français gaaigner, gainier : obtenir.

Enfin, oui, obtenir, mais quand même pas par n'importe quels moyens...,  gaaigner étant fondé sur le germanique *waithanjan : chasser, piller, voler...

Que voilà une plaisante racine…
Mais comme souvent, tout n'est jamais ni tout blanc, ni tout noir...

Car sous une forme suffixée au degré zéro cette fois, *weiə- devenant *wiə-to, allait signifier… inviter !

C'est sur cette forme que le latin invītāre (inviter) s'est créé, par la conjonction du préfixe privatif in- et du radical vis ("force, volonté").

"Inviter" évoquerait donc originellement l'idée de "prendre chez soi, mais sans faire appel à la force" !

Le latin invitus voulait dire malgré soi, à contrecœur, comme dans invitus bellum gero : je fais la guerre à contrecœur.


Et donc, si nous revenons à notre composé proto-indo-européen *wī-ro-, il devait donc probablement désigner le chasseur, le pilleur
En tout cas, dénotant une idée de force, de vigueur, mais aussi de violence


Notre racine proto-indo-européenne *wī-ro- nous a donné l'anglais werewolf : littéralement l'homme-loup, donc le loup-garou.

Wallace, Gromit et l'effrayant lapin-garou

Mais elle se retrouve également dans l'anglais… world ! Le monde.
Par le vieux haut-germanique *wer-ald : "vie, ou âge de l'homme", ald signifiant "âge".

Le français loup-garou lui-même provient de la racine *wī-ro- dérivé du vieux français garoul, lui-même calqué sur le francique *wer-wulf : "homme-loup".

D'autres dérivés de *wī-ro- ?

Mais certainement !

Une virago, c'est une femme d'aspect viril, autoritaire, grossière, rude… Mais en latin, c'était aussi une guerrière, une héroïne

Virago


Vertu et vertueux
Le mot vertu vient du mot latin virtus, lui-même dérivé du mot vir.
Tandis que vir sert à nommer l'individu humain de sexe masculin, virtus désigne la force virile et, par extension, la "valeur", la "discipline" opposée au "courage", plutôt synonyme d'impulsivité.

Gladiateurs : Virtus et Honor : la force et l'honneur
Le courage était d'ailleurs même un défaut, considéré comme essentiellement barbare.

Caius Marius sur la vertu :
"La vertu est la clef de voûte de l'empire, faisant de chaque seconde de la vie du citoyen, une préparation minutieuse aux dures réalités de la guerre, et de chaque bataille rien d'autre qu'un sanglant entrainement".

Ce bon Caius Marius méditant sur
les ruines de Carthage


Virtuose et virtuosité
Virtuose nous vient de l'italien virtuoso, correspondant à vertueux : "qui pratique le bien, la vertu" et est construit sur le latin tardif virtuosus, "vertueux", du Latin virtus, "excellence".
Par extension, le terme en est venu à signifier très doué, faisant preuve de maitrise.

Paganini, virtuose incontesté du violon


Dans la Rome antique, le mot curia, traduit en français par curie, désigne un groupe d'hommes, ou le lieu où ils se réunissent. Le terme désignait ainsi des subdivisions civiques à Rome à l'époque de la monarchie et dans les cités de droit latin.

La Curie (en latin Curia) désigne le bâtiment où se réunissait le Sénat romain, bâtiment toujours visible sur le forum romain aujourd'hui.

Curia peut probablement se décomposer en co-vir-ia: "des hommes ensemble", "assemblée d'hommes".

La Curia, le siège du Sénat romain

Fergus
Le prénom Fergus reprend la racine composée *wī-ro- passée en vieil irlandais : fer : homme, associée à la racine celte *gustu : la force, utilisée dans les noms propres.

Fergus, c'est donc celui qui a la force des hommes





Merci de me lire !
Bon dimanche, bonne semaine à toutes et tous !




Frédéric



dimanche 11 novembre 2012

Manneken-Pis, yeomen et autres moujiks


article précédent: Terre des hommes? Pléonasme!



Dimanche dernier, dans notre cycle des "mots basiques", nous avions découvert la racine proto-indo-européenne *dʰǵʰm̥mō qui nous a donné "homme", signifiant en fait quelque chose comme "le terrien".

(voir Terre des hommes? Pléonasme!)

Il serait dommage, à cette occasion, de ne pas traiter d'une autre racine proto-indo-européenne, sur laquelle se sont dérivés notamment les mots germaniques signifiant également "homme"…


Cette racine a été transmise telle qu'elle en anglais. Vous l'avez devinée?

Oui, il s'agit de la racine proto-indo-européenne *man-.

*man- ou plus exactement *man-1.

Car il existait une autre racine de forme identique, mais véhiculant un tout autre signifié: *man-2, la main, que nous avons déjà eu le plaisir de traiter dans jeux de mains.

Mais... que signifait *man-1, alors? Eh bien, tout simplement... homme!

Cette racine proto-indo-européenne *man-1, ou *mon-, est donc à l'origine de l'anglais man: homme.

*man-1 est devenue *mann- ou *manna- (être humain, homme) en proto-germanique, pour devenir mann en vieil anglais (être humain, personne, homme), pour enfin devenir le man anglais.

On retrouve la racine, dérivée par le proto-germanique, dans de nombreuses langues germaniques comme par exemple le frison occidental: man, le néerlandais: man, l'allemand: Mann, ou encore le norvégien man

C'est toujours *man-1 qui a donné l'allemand Mensch (Homme, être humain, humain), bien sûr.

Mensch nous vient du vieux haut-allemand mennisco (humain), dérivé de l'adjectif germanique *mannizca , lui-même basé sur *manna-.


Mais *man-est présente dans bien d'autres mots! Suivez le guide...


Nous retrouvons encore la racine proto-indo-européenne *man-1 dans l'Avesta sous la forme de manuš, ou encore dans le sanskrit मनु (manu: "être humain").

Dans la mythologie hindoue, Manu, ou Manus, est le premier roi qui régna sur la Terre, mais aussi le progéniteur de l'humanité. Il sauva l'humanité du Déluge, comme Noé.


Manu lors du grand Déluge


En russe, notre racine proto-indo-européenne *man-1 est devenue, à partir d'une forme suffixée *man-gyo- муж ("mouj"): homme, époux.
Sur муж s'est bâti le diminutif мужик (moujik): paysan.

Le terme moujik désignait dans la Russie impériale un paysan de rang social peu élevé, comparable à un serf.
Le mot fut introduit dans la langue française par la littérature russe, telle celle de Dostoïevski et de Tolstoï .

Moujik

Dans la Russie actuelle, le mot désigne, au sens général, une personne de basse classe sociale.
Péjorativement, il peut aussi désigner un Russe moyen.


Si vous avez jamais visité la Tour de Londres, vous connaissez les … Yeomen.
Le mot yeoman dérive probablement d'un mot en vieil anglais ou en tout cas d'origine germanique qui devait ressembler à yongeman ou yongerman, ou encore yonge man ou iunge man, et qui signifiait "young man": le jeune homme.

Yeomen of the Guard

Il devait désigner un serviteur libre, dont le rang se situait entre l'écuyer et le page.

Aux "Yeomen of the Guard" incombait le devoir de protéger, en tant que gardes du corps, le souverain et autres dignitaires.


Le mot "normand" quant à lui est un emprunt au francique *nortman, ou directement au vieux norrois nordmaðr, signifiant tous deux "homme du nord".

Cavalier normand, Tapisserie de Bayeux


Ombudsman, du vieux norrois umboðsmaðr ("plénipotentiaire", "mandataire", agissant pour le compte d'un tiers, "porte-parole des griefs ou homme des doléances"), désigne un médiateur indépendant, représentant un contre-pouvoir, un recours contre l'État, ses abus, ses lourdeurs, umbud/ombud signifiant procuration, mandataire.

Notez qu'il soit également possible que le mot ombudsman soit d'origine celtique et qu'il ait pour racine ambactos: serviteur, messager qui a par ailleurs donné, en français, le mot ambassade. (bof)


Herman, le prénom Herman, nous vient du germanique Hermann, et signifie littéralement homme de guerre, guerrier, composé de heri- ou hari-, "armée", et de -man, "homme".

Herman Melville, le père de
Moby-Dick


Le mot Allemand lui-même vient de *man-1  et devait désigner à l'origine le nom d'une tribu les "Ala-manniz": "tous les hommes".


Le mot mannequin, désignant cette figurine d’homme ou de femme, en bois, plastique ou cire, utilisée en couture ou par les peintres et les sculpteurs, ou dans les vitrines de magasins pour présenter des articles de mode, nous arrive du néerlandais ou flamand manneken (“petit homme”), diminutif du néerlandais man (“homme”).

C’est au Moyen Âge, quand la Flandre était le centre de la haute couture européenne et qu'il était interdit aux femmes de paraître en public, que la fonction de montrer les nouvelles créations incombait donc aux pages, aux mannequins, à ces "petits hommes".

Mannequins


Et Manneken-Pis, cette statue de pas plus d'une soixantaine de centimètres de haut qui représente Bruxelles dans le monde entier, tient son nom du dialecte brusseleer des Marolles, et signifie le "petit homme (le gamin) qui pisse"


Manneken-Pis





Bon dimanche, bonne semaine à toutes et tous!




Frédéric

dimanche 4 novembre 2012

Terre des hommes ? Pléonasme !


article précédent : histoire vraie



"La grandeur d'un métier est peut-être, avant tout, d'unir des hommes: il n'est qu'un luxe véritable, et c'est celui des relations humaines."

Antoine de Saint-Exupéry, in Terre des hommes, 1939

Saint-Ex et son camarade Guillaumet


En fait, ce billet du dimanche indo-européen, j'aurais pu tout aussi bien l'appeler "de Vingt mille lieues sous les mers à Terre des hommes…"


En ce dimanche gris et pluvieux - du moins ici, et même si on n'est pas encore dimanche - entamons gaiement une nouvelle série !

Encore une trilogie ? Peut-être, ou peut-être bien plus !

Car, vous en conviendrez très certainement dès que vous en connaîtrez le sujet, il y a, je crois, matière à s'étendre longuement…

Le thème de cette nouvelle série, le voici : les mots "basiques".
Enfin, si on peut dire...

Je veux dire par là les mots qui nous définissent nous humains.

"Homme", "Femme", et puis aussi tous ces mots de tous les jours, qui ont trait à la famille et aux relations familiales.

- Ce sujet m'a été gentiment soufflé par Françoise, qui suit le dimanche indo-européen sur Facebook, et que je remercie ! -


Commençons donc - n'y voyez surtout aucune trace de machisme - par "homme".

"Homme", comme vous le savez, nous vient du latin homĭnem, accusatif singulier de hŏmo ("être humain, homme, individu").

Premier point intéressant, et peu connu : c'est la forme du nominatif homo qui a donné en français le pronom indéfini "on".

"On", mais c'est "nous", "les humains", c'est "eux", c'est "les gens", c'est "nous tous"…!


Il existait une forme archaïque à hŏmo : hĕmo, sur laquelle s'est bâtie la forme négative ne hemo (littéralement "pas un homme").

Ne hemo, par contraction, est devenu nemo.

Nemo pourrait être traduit par "pas un homme", ou tout simplement "personne" (comme dans "Mon nom est personne", ou "il n'y a personne à la maison").

Eh oui ! Vous pensez au même personnage que moi, au commandant du Nautilus, le capitaine Nemo de Vingt mille lieues sous les mers !

Le capitaine Nemo

... Qui cache son passé trouble, sa véritable identité à ses passagers, à la manière d'Ulysse face à Polyphème le cyclope, à qui il déclare s'appeler "Όυτις" ("outis"): "personne" !

Nemo disparaît avec son merveilleux Nautilus à la fin de L'Ile Mystérieuse.

Le Nautilus !

Mais saviez-vous que dans "Le Sphinx des glaces", écrit plus de vingt ans après L'île Mystérieuse, Jules Verne rend un superbe hommage à son personnage ?

Jules Verne, sans qui mon enfance
n'aurait pas été tout à fait la même...

Quand l'équipage de la goélette l'Halbrane débarque au Pôle Sud, Jules Verne nous raconte que vingt-huit ans plus tôt, le 21 mars 1868, "un autre avait pris pied sur ce point du globe" :  après avoir franchi la banquise avec un appareil sous-marin, l'homme débarque d'un canot, gravit les talus basaltiques en s'aidant d'un pic …
"Et, à l’instant où l’horizon, juste au nord, coupait en deux parties égales le disque solaire, il prenait possession de ce continent en son nom personnel et déployait un pavillon à l’étamine brodée d’un N d’or. Au large flottait un bateau sous-marin qui s’appelait Nautilus et dont le capitaine s’appelait le capitaine Nemo."

Merveilleux Jules Verne…


L'Halbrane pris par les glaces


Mais replongeons-nous - oui, je sais, c'était facile - dans notre quête étymologique.

Hĕmo provient de l'indo-européen commun *dʰǵʰm̥mō, dérivé de la racine proto-indo-européenne *dʰéǵʰōm-.

*dʰéǵʰōm- évoque l'idée de "terre".

(Oui, nous avons déjà parlé, dans sécheresse torrentielle, de "terre", avec la juxtaposition des racines *ters- et *tel- qui a donné une forme nominale *tersā qui allait déboucher sur le latin terra…)


Et *dʰǵʰm̥mō pourrait signifier quelque chose comme "issu de la terre", ou encore "fils de la terre", ou tout simplement "terrien".

Il est intéressant de faire le parallélisme - même si cela nous éloigne à nouveau de l'étymologie (oui, moi aussi je me trouve assez dissipé aujourd'hui) - avec le culte à Gaïa, la Terre-mère, et la croyance que les humains sont les fils et filles de la Terre.
Ou encore, selon la Bible, que les humains sont faits de terre.

Notons encore, en hébreu, la proximité sémantique de אדם, Adam, le premier homme selon la Genèse et אדמה, adamah, la terre. Adam, en ce sens, c'est le terreux, le glébeux !


Maintenant, gardons les pieds sur terre (désolé), en nous disant que le mot n’est peut-être pas issu d’un signifié "fils de la Terre" mais pourrait plutôt évoquer le "terrien", l'habitant de la Terre, par opposition aux dieux, habitants des cieux.

Quoi qu'il en soit, à partir de *dʰéǵʰōm- se sont dérivés une longue série de mots dans diverses langues indo-européennes…

Quelques exemples ?

  • le letton zeme ("terre")
  • les lituaniens žmuo ("homme") et žemė ("terre")
  • l'irlandais duine ("être humain, personne"), par le proto-celte *gdonyo- (même sens)
  • le grec ancien χθών, khthōn ("sol, terre")
  • le kurde zevî ("champ")
  • le persan زمین (zamin) ("terre, sol")
  • le russe земля (zimlia) ("terre")
  • le sanskrit क्ष (kṣa) ("champ")


Et puis, en latin, *dʰéǵʰōm- s'est aussi décompos… euh décliné en… humus ! (le sol, la terre).

Dont nous avons bien évidemment tiré le français humus, la "couche supérieure du sol créée et entretenue par la décomposition de la matière organique, essentiellement par l'action combinée des animaux, des bactéries et des champignons du sol".



Du latin, avec toujours la notion de terre, mais qui représente ici symboliquement le bas, "ce que l'on regarde de haut", nous avons hérité de humilité, humiliation,…

  • humiliātio, humiliation
  • humilifico ou humilio, abaisser, abattre, humilier
  • humilis, près de terre, bas, de basse condition, humble, nain
  • humilitās, petitesse, bassesse, humilité
  • humiliter, dans un lieu peu élevé, bassement, humblement


Enfin, Inhumer nous arrive de la même source latine : à l'origine enterrer, planter





Bon dimanche, bonne semaine à toutes et tous !



Frédéric