- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 28 juillet 2013

Comment ça, "Charles-Quint au Pendjab"?? Mais enfin, combien de verres de punch as-tu bu?






Bonjour à toutes et tous!


Un petit rappel?

Dans le cadre de notre grand sujet sur les nombres, commencé par Namasté, nomade économe!,
nous avons traité ...

  • de UN:


  • de DEUX:


  • de TROIS:


  • et enfin, de QUATRE:



En ce dimanche, passons donc, en toute logique, à … CINQ.



Vous l'aurez constaté, pour tous les nombres de un à quatre, une belle cohésion existe dans les langues issues du proto-indo-européen: les racines originales se retrouvent dans pratiquement tous les groupes, dans pratiquement toutes les langues…

Et puis, voilà qu'arrive cinq

Si nous ne nous basons que sur le français et l'anglais par exemple, deux beaux représentants de deux familles de langues différentes, nous avons une bien belle unisson étymologique:

un - one
deux - two
trois - three
quatre - four


Sans même être versé dans les langues, on admet volontiers l'ascendance commune de ces mots…

Et puis, donc, là, tout net: cinq!

cinq - five

Bof bof bof…


Essayons donc d'y voir plus clair...

A l'origine, une racine proto-indo-européenne:

*penkʷe-

Racine représentant clairement "cinq", et qui nous a donné le grec πέντε pente: cinq.

D'où nous avons bien évidemment tiré tous ces mots en penta- comme...

  • pentagone
  • Pentateuque, l'ensemble des cinq premiers livres de la Bible (Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, et Deutéronome
  • pentagramme, originellement terme d'écriture se référant à un caractère calligraphié composés de cinq graphèmes élémentaires
  • pentathlon: le pentathlon antique était une épreuve sportive constituée de cinq disciplines: lancer du disque, lancer du javelot, saut en longueur, course et lutte.
  • pentacle: forme géométrique à base d’un pentagramme, souvent accompagnée d’inscriptions à valeur magique.
  • pentaglotte: qui est écrit en cinq langues; on parlera d'une Bible, ou d'un dictionnaire pentaglotte...


Pentagone


A l'origine des dérivés par les proto-italique et proto-celtique de la racine *penkʷe-, nous observons une assimilation phonétique de
*p…kʷ  en  *kʷ…kʷ

Il s'agit là d'un phénomène linguistique connu, reconnu et observé à diverses reprises.


C'est donc par une forme assimilée *kʷenkʷe- que *penkʷe- est devenu le latin quīnque: cinq.

Sur lequel nous avons bâti cinq - faut-il vraiment le préciser? -  mais aussi quinconce par exemple…

Quinconce

Ou … esquinter!

Esquinter (fatiguer excessivement, user, délabrer…) nous vient du latin exquintare, littéralement "mettre en cinq": déchirer, diviser en cinq.

Un peu comme écarteler, mais en cinq! Ce qui est encore pire... (je ne veux même pas l'imaginer)


Quant aux langues gaéliques et brittoniques, on y retrouve ainsi la racine proto-indo-européenne d'origine *penkʷe- passée dans le proto-celtique *kʷinkʷe-, sur lequel on a construit par exemple le breton pemp, le cornique pymp, le gallois pump ou encore le gaélique écossais còig… ("cinq" dans tous les cas).


Mais voilà!
Dans le groupe germanique, les choses ont un peu ... dérapé
... et la forme d'origine *p-kʷ est devenue *p-p.

Je sais, c'est on ne peut plus choquant. Mais le résultat est bien là!

On ne peut vraiment (plus) se l'expliquer.

On soupçonne ici aussi un processus d'assimilation phonétique, et dans ce cas précis le passage par une forme assimilée *pempe-, qui aurait alors dérivé régulièrement dans le germanique *fimf-, sur lequel notre anglais five serait construit bien plus tard…


Mais revenons à la normalité!

En indo-iranien, la racine proto-indo-européenne *penkʷe- est devenue *panca.
Ce qui vous fait une belle jambe, me direz-vous.

Oui, mais!

Sur *panca le persan a créé پنج panj (cinq) utilisé dans des noms de lieux, comme … Pendjab!

Pendjab est une combinaison des mots indo-iraniens پنج panj et آب āb (eau), et signifie donc quelque chose comme "le pays des cinq rivières"; ces dernières étant, je ne le vous cacherai pas, la Beas (corpus), le Sutlej, le Ravi, la Chenab (ça ressemble à du verlan mais ça n'en est pas) et la Jhelum.

Pendjab


Mais surtout, l'indo-iranien *panca a donné le sanskrit pañca, cinq.

Duquel découle … punch!
Boisson composée traditionnellement de cinq éléments:

  1. alcool ou eau-de-vie, 
  2. eau
  3. jus de citron
  4. sucre et 
  5. épices.


Punch


Pour ce qui est de l'adjectif ordinal proto-indo-européen *penkʷ-to- (cinquième), basé sur *penkʷe-, il nous a donné l'anglais fifth (cinquième), mais aussi quintetCharles-Quint, quintuple, ou encore quintessence, la cinquième essence, la sublimation des quatre essences du monde sublunaire (le monde terrestre).

Charles-Quint


Enfin, une forme suffixée de *penkʷe-: *penkʷ-ro-, a donné, par le germanique *fingwraz ("un de cinq"), l'anglais… … … finger, le doigt!

Doigts


Tout comme on soupçonne (sans trop de certitude) une forme suffixée de notre racine proto-indo-européenne *penkʷe- réduite au degré zéro: *pnkʷ-sti- d'être à l'origine de l'anglais fist: le poing: le groupe de cinq doigts






Bon, je sais pas pour vous, mais moi en tout cas, je me ferais bien un petit apéro.

Et sachez-le: je ne suis ni extrémiste ni fondamentaliste: je ne prendrai pas nécessairement du punch.
Et je ne m'arrêterai pas nécessairement à cinq verres.


Bon dimanche, bonne semaine à toutes et tous, et…
… à dimanche prochain!





Frédéric

dimanche 21 juillet 2013

A un carrefour, contrecarrer un escadron!? Mais quelle carrure!


article précédent: troïka, sitar et trèfle




"L'autre jour au fond d'un vallon,
Un serpent piqua Jean Fréron ;
Que croyez-vous qu'il arriva ?
Ce fut le serpent qui creva."

Voltaire (qui, vous l'aurez compris, détestait ce pauvre Fréron)

Bon, 'faut dire aussi que Fréron avait dit de lui, Voltaire, qu'il était...
"sublime dans quelques-uns de ses écrits, rampant dans toutes ses actions"




Bonjour à toutes et tous!


Quatre!


Quatre


Toujours surprenant, vous allez le voir, de se rendre compte de tous ces mots qui n'ont plus pour nous de lien direct avec quatre, et qui pourtant sont bien basés sur la même racine proto-indo-européenne…

Cette racine, dont le sens est simplement "quatre", la voilà:

*kʷetwer-


Notre *kʷetwer-, sous une forme au degré o: *kʷetwor-, par le latin quattuor (quatre, groupe de quatre), nous a amené le français "quatre", mais aussi quatrain, ou évidemment, quatuor.

Un pt'tit quatuor de Mozart (k387)


Pour un exemple de quatrain, relisez l'épigramme de Voltaire, en exergue!


Et c'est toujours *kʷetwor-, en passant probablement par une forme germanique *fe(d)wor-, qui est devenue le vieil anglais fēower, sur lequel s'est bâti l'anglais four.

Jusque là, me direz-vous, rien de bien transcendant…


Certes. Mais par des formes particulières de la racine proto-indo-européenne *kʷetwer- (j'entends les formes multiplicatives *kʷeturs- et *kʷetrus-, que l'on pourrait traduire littéralement par "quadruple"), ainsi que par des formes particulières utilisées dans des expressions composées: *kʷetur- et *kʷetru-, nous sont parvenus, via le latin quătĕr: quatre fois, des mots parfois moins "prévisibles"…

Quaternaire, OK!

Mais saviez-vous que cahier nous vient de quatre?
Par le latin quaternio - quaternium: cahier de quatre feuilles.

Carnet! Du français médiéval quernet ("groupe de quatre feuilles"), du latin quaternum ("relatif à quatre", ou encore "plié en quatre").

Un carillon, c'est littéralement un groupe de quatre cloches
Le mot attesté en 1718, est basé sur l’ancien français quarrillon, issu lui-même du bas-latin quadrinio, quaternio ("groupe de quatre objets"), via quarellon (1345), et carenon (1178).


Un beau carillon


Il est d'ailleurs plus que probable que Quaregnon, le nom de cette coquette bourgade du Borinage, provienne du même bas latin quadrinio, pour "groupe de quatre".

Alors, quatre quoi??

'Sais pas: quatre malfrats, quatre blessés par balle, quatre voitures volées, quatre bagarres entre supporters, quatre interventions de la police lors d'une soirée, quatre échauffourées avec la police …

Il y a probablement aussi une relation à faire entre "Quaregnon" et "quart-monde"...

Criminalité et Quaregnon, une grande histoire d'amour


La gare de Quaregnon, entre deux agressions

Mais bref.

Une caserne était probablement, à l'origine, un poste de garde où dormaient (ou veillaient) quatre soldats…
Notons cependant que certaines étymologies ramènent simplement le mot au latin casa: la maison.
Mais on peut aussi le relier au militaire quartier: lointain souvenir des camps militaires romains divisés en quatre secteurs…

C'est d'ailleurs cette même acception de quartier qui est à l'origine de l'expression "pas de quartier", "ne pas faire de quartier" ;  les quartiers étant par définition des cantonnements où les troupes étaient en sécurité et où les soldats pouvaient se reposer.

Par extension, le mot en est venu à désigner une mesure qui permettait de laisser la vie sauve à des prisonniers, de les libérer, ou en d'autres termes, qui leur permettait de rentrer dans leurs quartiers.
On parlait donc de "faire quartier" ou "ne pas faire de quartier"…

Comme vous le savez, seule la forme négative a subsisté.

Camp romain et ses quatre quartiers


Tiens, et pourquoi parle-t-on de quartiers, dans le cas d'une ville??

C'est fou comme les gens n'attachent finalement que peu d'importance aux mots qu'ils utilisent...
Faites une recherche sur Internet, et vous verrez que tout le monde (urbanistes, architectes ...) utilise le terme "quartier", mais que pratiquement personne ne s'interroge sur son origine…

Encore plus fort: pour certains, quartier veut tout simplement dire "un quart, ou par extension une partie d'un tout".
Ce qui permet alors de ne plus se poser de questions…! Un quartier, c'est juste une partie!!

Allez, soyons sérieux, on parle de quartiers d'une ville, parce que, tout simplement, du temps des Romains, on divisait une ville en quatre parties!

On suppose que les Romains se sont à ce propos inspirés des méthodes étrusques, et particulièrement de l'Etrusco ritu: le rite sacré de fondation et d'emplacement d'une ville.


L'Etrusco ritu pour les Nuls 

  • Le fondateur choisissait un lieu géographiquement et topologiquement approprié (hauteurs, proximité d'un cours d'eau …).
  • Ensuite il demandait à un haruspice de prendre les auspices. 
  • Ce même haruspice déterminait précisément, en plantant la groma
    - perche verticale supportant à son extrémité supérieure un croisillon monté sur un tourillon: le croisillon pouvait ainsi tourner dans le plan horizontal ; chaque bras du croisillon supportait à son extrémité un fil à plomb -
    le point qui allait devenir le centre sacré et vital de la ville à venir ; c'est là bien souvent qu'allait s'ériger le forum.

Reconstruction d'une groma

  • Toujours par la groma- étymologiquement et fonctionnellement reliée au gnomon grec: l'équerre -
    l'haruspice déterminait alors les directions nord-sud, et est-ouest.
  • Enfin, le fondateur délimitait l'enceinte de la ville (limitatio: délimitation), ainsi que l'enceinte sacrée de la cité, le pomœrium, en traçant le sulcus primigenius, le "sillon primordial": une saignée ouvrant le sol, réputée infranchissable car sous l’influence des dieux infernaux
  • Pour creuser ce sillon, il utilisait un araire de bronze tiré par un taureau et une génisse blancs, un pan de sa toge rejeté sur sa tête, en prenant soin de rejeter la terre vers l'intérieur. C'est précis.

Eh oui, on ne créait pas une ville n'importe comment…

La ville devait être "orientée comme le monde", suivant un axe Nord/Sud, le cardo, et son correspondant Est/Ouest, le decumanus, respectant ainsi les quatre points cardinaux et leurs portes correspondantes (et où le soc de la charrue avait été soulevé de terre, porté par l'officiant, pour en marquer la place).

Cardo et decumanus


"Cardo"? c'est le pivot, la charnière, le gond de porte.
C'est sur son dérivé cardinalis ("relatif aux gonds", "cardinal, principal"), qu'a été créé le français cardinal, comme le point ou le nombre

  • La ville "régulière" devait de plus consacrer trois portes, trois rues et trois temples aux trois divinités majeures.

Mais ce n'est pas fini!

  • Un temple devait encore se dresser ensuite sur le point le plus élevé, et il fallait encore creuser le mundus: un fossé, un puits, défini par un axe vertical cette fois, qui allait équilibrer le cardo et de decumanus, les axes horizontaux et orthogonaux du monde, et constituer ainsi une image renversée du ciel.


Et donc, si vous vous représentez le schéma, nous avons bien quatre parties dans notre cité, délimitées par le cardo et le decumanus à l'intérieur, et par le sulcus primigenius à l'extérieur…

Les deux axes principaux de la ville vont en devenir les deux rues principales, le cardo maximus (nord-sud) et le decumanus maximus (est-ouest).


On a oublié tout ça!
Et pourtant nous parlons toujours, pour qualifier les rues de nos villes, d'axes!! Les grands axes, les axes ouverts à la circulation… …

C'est en se basant sur ces deux grands axes que les rues, enfin, seront construites, parallèles à l'un ou l'autre de ces axes: on parlera des cardines ou des decumani selon qu'elles sont parallèles à l'un ou à l'autre.

L’ensemble forme un quadrillage délimitant des espaces qui seront occupés par des bâtiments ou des habitations, les insulae.


Un exemple concret? Allez, pour mon ami Cyrille, prenons, au hasard... Paris! (enfin, Lutèce)

Il y avait plusieurs cardos à Paris (ben oui, les Romains devaient bien savoir qu'ils étaient sur le point de construire non pas simplement une ville, mais bien le centre du monde).

Le cardo maximus de Paris était l'axe nord-sud qui descendait de la montagne Sainte-Geneviève par la rue Saint-Jacques, bordé d'une série de bâtiments antiques étagés parmi lesquels, au bas de la colline, les thermes de Cluny.
Le cardo maximus franchissait ensuite une première fois la Seine par le Petit-Pont, traversait l'île de la Cité par la "rue de la Cité", puis enjambait une deuxième fois le fleuve par le pont Notre-Dame, pour emprunter un double cardo constitué par la rue Saint-Martin.

L'autre cardo de Paris est celui correspondant au boulevard Saint-Michel, sur la rive gauche, et la rue Saint-Denis, sur la rive droite.

Un troisième cardo sur la rive gauche suivait également la rue Valette.

Au sommet de la montagne Sainte-Geneviève, ces deux premiers cardos encadraient le bâtiment central de la Lutèce romaine: le forum.

Quant au decumanus, bien que le tracé ne soit pas très net, il correspondrait à l'actuelle rue Soufflot.


Cardo(s) et decumanus à Paris

Lutetia, avec le Forum au centre

... Et une autre vue du ciel


Allez, poursuivons!

Mais c'est passionnant, non, cette ritualisation de la fondation d'une ville!
Au Moyen-Age, on procédait encore selon des rites traditionnels et sacrés pour définir l'endroit et l'orientation d'une église, d'une cathédrale, en se servant d'un gnomon

La racine proto-indo-européenne *kʷetwor-, par le latin quadrum (carré), nous a donné des mots comme carré, ou l'anglais square, que nous avons repris pour en faire une place avec un petit parc.

Equerre nous vient de l’ancien français esquire ("carré"), issu du latin populaire exquadra, de exquadrare ("rendre carré").

Cadre nous vient aussi du latin quadrum!
Tout comme le carreau, de l'arbalète ou de la fenêtre...

Plus curieux:
Carrière! L'endroit où on extrait des minéraux…
Du vieux français quarrière, du latin populaire quadraria, "lieu où l’on taille les pierres",  de quadrus "carré". Ben oui, les pierres brutes on en fait des cubes, des pierres cubiques, bien carrées...

Ou encore...
Escadrille! Ou escadre, escouade ou encore escadron:
Tous créés sur l'espagnol escuadra: bataillon rangé en … carré!


Evidemment, tous les mots en quadri- proviennent de notre racine, par le latin quadri- quatre.
Et le latin quadrans (un quart) nous a donné le quart, bien sûr, ou encore le quadrant.


Le quadrant mobile d'Augustin Stark


Allez, encore une fournée:
Une variante de *kʷetwer-: *kʷet(w)r̥- a donné le grec pour quatre, tetra- à qui nous devons tous ces mots en tétra-, de tétragramme à tétralogie

Un célèbre tétragramme

Une tout aussi célèbre tétralogie


Une autre forme au degré zéro de *kʷetwer-: *kʷt(w)r̥, est à l'origine du grec tra- quatre, sur qui nous avons créé… trapèze, cet objet à quatre pieds



A l'adjectif ordinal proto-indo-européen *kʷetur-to-, via le germanique *fe(d)worthōn-, nous devons l'anglais fourth, dérivé du vieil anglais fēortha / fēowertha: quatrième.

Enfin par le latin quārtus quatrième, nous avons reçu…
quart, quatrain ou quarte, ou même quadrille ; le quadrille français pouvait être dansé par quatre couples formant un carré, ou par deux couples se faisant face, formant quadrette ; les couples se répartissaient alors, suivant les dimensions de la salle, en une ou plusieurs doubles lignes.

Quadrille


Une dernière salve de dérivés du proto-indo-européen *kʷetwer-:
bécarre: de l'talien bequadro, "b carré", où le b désigne la note si.

Un fa bécarre


Mais aussi écarter: à l'origine, séparer en quatre.
Sens que l'on retrouve plus clairement dans l'horrible écarteler!
Une variante: écarquiller, altération d’équartiller, dérivé de quart ("mettre en quatre"), écarteler.

Carrefour, enfin, vient de l’adjectif bas latin quadrifurcus, littéralement "qui a quatre fourches".
L’adjectif fut ensuite substantivé en "lieu où se croisent quatre chemins".

Cadran!
Ben oui, même si à présent la plupart de nos cadrans sont circulaires, les premiers cadrans, ce sont les cadrans solaires, bien carrés.


Et tellement vrai...


Carrelage, on peut le deviner, mais … carrure!?
Oui, étymologiquement, carrure désigne la forme carrée des épaules sur le buste!

Contrecarrer?
Fait de contre, et carre: face carrée ; contre-carrer est donc "mettre quelque chose de carré contre quelqu'un".
S'y opposer par sa carrure??


Là-dessus, on va préparer le barbecue...





Bon dimanche, bonne semaine à toutes et tous!
Et à dimanche prochain!





Frédéric

dimanche 14 juillet 2013

troïka, sitar et trèfle





In Italy for 30 years under the Borgias they had warfare, terror, murder, and bloodshed, 
but they produced Michelangelo, Leonardo da Vinci, and the Renaissance. 
In Switzerland they had brotherly love - they had 500 years of democracy and peace, 
and what did that produce? 
The cuckoo clock.

Harry Lime, in The Third Man, Carol Reed, 1949

(En Italie, pendant 30 ans sous les Borgia, ça n'a été que guerre, terreur, meurtres, effusions de sang, mais ça a donné Michel-Ange, Leonard de Vinci, et la Renaissance. 
En Suisse, c'était l'amour fraternel - 500 ans de démocratie et de paix,
et qu'est-ce que ça a donné?
Le coucou!)



The Third Man
Sur la grande roue, au Prater de Vienne…


Et je ne peux m'empêcher de vous donner encore un petit extrait du film:


La scène où apparaît pour la première fois
Harry Lime

Un rayon de lumière sur le visage d'Orson Welles, et plus rien d'autre n'existe… !

Orson Welles a marqué ce film - et ses spectateurs, surtout -, au point que souvent encore on pense qu'il est de lui ! Ou qu'il détient le premier rôle.

Alors qu'il n'y apparaît probablement pas plus de 10 minutes…



Bonjour à toutes et tous !


En ce dimanche, troisième épisode dans notre saga sur les nombres.

Et c'est curieux, j'ai l'impression que vous savez déjà de quoi il va s'agir ??

Eh oui, gagné ! Aujourd'hui, trois !



Trois nous arrive du latin trēs, de même sens.
Et le latin trēs est évidemment basé sur une racine proto-indo-européenne:

*trei- ("trois")


Décliné du latin trēs: triumvirat, par exemple…

Le premier Triumvirat : Pompée, Crassus, César

Et basé sur la même racine proto-indo-européenne *trei-, mais cette fois par le germanique *thrijiz : l'anglais three (trois).


Une forme au degré zéro de la racine *trei-, *tri-, est à l'origine de quelques autres mots…

Ainsi suivie du suffixe *tyo-, elle a donné l'anglais third (troisième), en passant par le germanique *thridja- (troisième), puis par le vieil anglais thrid(d)a.

Mais par le vieux norois - oui, je sais, ça faisait longtemps - thridhi (également troisième), la racine est devenue l'anglais riding.

Alors, pas le riding relatif aux chevaux, à l'équitation ("monter à cheval, "équitation").
Non non: l'autre riding, celui correspondant à une juridiction administrative, sorte de district électoral, originellement instituée dans les pays scandinaves. Et qui existe encore au Canada par exemple...

Il s'agissait de la tierce partie d'une région, cette dernière pouvant être assimilée à un comté.
Il y en avait donc théoriquement, si vous comptez bien, trois par région / comté.

En Angleterre, l'ancien comté du Yorkshire - please, pas "Yorkshayeure" comme les journalistes de la RTBF se complaisent à le prononcer, mais bien "yoorksheu" - comptait ainsi trois ridings :
North, West and East.

Lindsey, l'une des "parts" (subdivisions) du Lincolnshire (-cheu, pas -chaïeure, hein!) avait également ses ridings, dans son cas les North, West et South ridings.

Les Yorkshire ridings

Le mot originel, en vieil anglais, était *þriðing ou *þriding.

Cette drôle de lettre au début du mot c'est un thorn, propre aux alphabets en vieil anglais, gothique, vieux norois ou encore islandais. Il correspond, vous vous en doutez, à un "th" anglais.


Thorn, pas Torn, enfin!

Ci-dessus, la plus belle version que je connaisse de cette
chanson,
avec Natalie Imbruglia et le mime David Armand.
Eh oui, only in the UK !!


Alors, je soupçonne la question…! Mais comment est-on passé de thriding à riding ???
Eh bien les mots se sont mangés

Le "th" initial de thriding s'est fait absorbé par le "th" ou "t" final des mots North, South, East ou West, qui le précédaient normalement dans la phrase !


Continuons...

Le proto-indo-européen *tri- se retrouve dans le latin tertius, troisième.
A qui nous devons, en retour, tertiaire, ou tierce.

Accord de tierce

Et la forme *tri-, combinée à d'autres, a encore donné, par le latin tri- (trois): trio, ou triple

Ou même… tribu !!

Notre français "tribu" renverrait - on n'est pas très sûr de son origine précise - au latin tribus, à l'ombrien trifú ou à leur équivalent grec phulè (ϕυλ́η), termes qui appartiennent au vocabulaire le plus ancien des institutions indo-européennes.

D'après Benveniste, dans leur couche la plus ancienne, ils décrivent une forme spécifique d'organisation sociale et politique qui existait dans toutes ces sociétés: une tribu indo-européenne était la forme d'organisation sociale et politique la plus vaste qui existait avant l'apparition de la cité-État.

La tribu regroupait elle-même des unités sociales élémentaires, de plus petite taille, la phratria (ϕρατρ́ιa) et le génos (γ́εuov) chez les Grecs, la curia et la gens chez les Latins.

Toujours selon Benveniste, l'ombrien trifú pourrait dériver d'une combinaison des racines proto-indo-européennes *tri- et *bhu- où le second élément s'apparente au "phu-" du grec "phulè", une subdivision en trois parties de la polis grecque (les "phulai").

Le tribut, provenant du latin tributum, supin de tribuo, c'était à l'origine l'impôt, la taxe, la contribution, à partager ... entre les tribus...

Être tributaire, c'est, avant d'"être dépendant de", payer tribut, participer par sa contribution de contribuable...


Un autre cas plus qu'intéressant est celui de la forme composée proto-indo-européenne *tri-st-i-.
Vous reconnaissez ici le *st- (*stā-) de "station", ou même de solstice, qui évoque littéralement la station, la station debout.

*tri-st-i-, c'était la troisième personne debout, là; entendez "présente", qui assiste à l'action.
Un témoin, quoi, qui ne prend pas part à l'action, mais qui y assiste concrètement.
Ce qui m'arrange particulièrement bien.

Car *tri-st-i- se retrouve dans le latin testis : le témoin.

Testimonium, c'était le témoignage. Le devoir, le statut légal d'un témoin.
Sur quoi nous avons créé le français "témoin", via l'ancienne forme tesmoing.

Mais nous devons aussi à testis ...
  • testament (du latin testamentum, de testor ("témoigner") avec le suffixe -mentum.
Wikipedia nous explique qu'avant que l'écriture ne soit inventée ou ne se généralise, le testament se faisait de vive voix ; à Rome, devant cinq témoins et un libripens (sorte de "notaire assermenté").
C’est à cet usage que se rapporte le mot testamentum, littéralement "la prise à témoin".

Ou encore...
  • attester, testifier

Mais aussi…
  • Contester !
C'est étymologiquement mettre en discussion ce que quelqu’un revendique, en prenant quelqu'un à témoin.
Contester nous vient du latin contestari ("prendre à témoin"), composé de con- et testis ("témoin"). 
  • Protester !
Qui provient lui du latin protestari: protester, déclarer haut et fort, attester, témoigner devant quelqu’un.
  • Détester, enfin. 
Détester, c'était au sens premier maudire publiquement en prenant quelqu'un à témoin

C'est enfin toujours la forme *tri- qui a donné "trois" en persan : si (retranscrit parfois sih), que l'on retrouve dans l'hindi sitar, qui signifie littéralement "trois cordes".
(je vous laisse deviner ce que "tar" signifie).

- Mais?? Un sitar ça a plein de cordes!!
- Mais oui, on trouve des sitars de 6 à 20 cordes.

Sitar

Mais la toute première version, calquée sur un instrument perse, possédait bien trois cordes.
On y rajouta une quatrième corde au XVIIIème siècle, et puis au XIXème on y encorda les fameuses tarafs, cordes particulières dont on ne joue pas mais qui résonnent par sympathie, et qui donnent ce son si particulier à l'instrument.

C'est pas de si tôt qu'en matière de sitar, j'oublierai de citer Ravi Shankar, ou sa fille Anoushka



Les deux pour le prix d'un...


Anoushka Shankar
Galbe, plastique, esthétique et proportions
parfaits, ce sitar

Et attention, ne confondons pas le sitar et la cithare, que vous avez entendue sur la musique de la bande originale de "The Third Man", interprétée par Anton Karas (le très beau et plus que célèbre "Harry Lime Theme").

Cithare


C'est Anton Karas qui joue ici lui-même le thème si
reconnaissable...


Et c'est toujours sur *tris-, mais cette fois dans le sens "trois fois", que nous avons basé "ter" ou même le surnom d'Hermès: Trisgémiste : le trois fois grand…!

C'est enfin sous une forme suffixée en -no: *tris-no-, que  *trei-, ou précisément *tri- est devenue Trinité, via le latin trīnī : "au nombre de trois".

Trinity


C'est une forme au degré o de *trei-, flanquée du suffixe -o: *troy-o-, qui a quant à elle permis de créer le russe тройка : troïka !
L'attelage à trois chevaux…

Troïka


Un petit coup de sanskrit? Ca ne se refuse pas, allons!

Vous connaissez peut-être la trimurti, la triade (ben oui, triade descend aussi de *tri-) hindouiste des dieux:

Brahma le créateur, Vishnou le conservateur, et Shiva le destructeur.

Il s'agit des trois manifestations les plus élevées de la réalité ultime.
Cette triade dont le nom sanskrit est त्रिमूर्तिः trimūrti, désigne littéralement les "trois formes".

Trimurti

Allez, pour terminer, quelques petits mots dont vous ne soupçonneriez la parenté avec "trois"…

Un trèfle ne peut avoir que trois feuilles. Désolé, un trèfle à quatre feuilles n'est pas un trèfle.

Le mot trèfle nous vient (on n'est pas trop sûr) soit du grec ancien τρίφυλος, triphylos ("qui a trois feuilles"), soit du latin trifolium ("qui a trois feuilles", trèfle).

Trèfle


La trémie !

Une trémie, c'est ce grand entonnoir destiné à stocker puis à verser une matière pondéreuse (grain, sable…) par gravitation.

Trémie provient du latin trimodium ("vase contenant trois muids").

- Des muids ?? Mais c'est pas possible, ça, mon gars, tu les inventes à la volée ou quoi ?!
- Mais non !

Le muid, du latin modius ou modium, est en fait une ancienne mesure de capacité pour les grains et autres matières sèches et ainsi que pour les liquides.

Trémie

Treillis:
De l’ancien français treliz ("tissé à mailles", "tissu fait de mailles"), du latin trilicius, dérivé de trilīx ("tissé de trois fils").

Pantalon treillis.
Pour dames belles et rebelles.
(ou moches et remoches, ça marche aussi)


Trivial :

Emprunté par Rabelais au latin trivialis, de trivium ("carrefour de trois voies").

Ce bon Antoine Furetière (1619-1688), réputé pour la brièveté des titres de ses ouvrages, mentionne dans son Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois, tant vieux que modernes, et les termes de toutes les sciences et des arts l’adjectif triviaire ("où aboutissent trois chemins").

Antoine Furetière


Il désigne jusqu’au XIXe siècle une chose commune, banale, sans connotation péjorative, puis prend son sens moderne - en français du moins - de "grossier", qui existait en fait déjà en latin.


Trivial Pursuit


Enfin, travail !

Ici, comme parfois, deux options pour son étymologie ; à vous de choisir, même si la première est clairement la plus plausible…

"Travail" vient du latin tripalium, le tripalium étant un instrument d'immobilisation et de torture à trois pieux utilisé par les Romains pour punir les esclaves rebelles.
Le principe en était assez simple: on y attachait le supplicié, et on y mettait le feu. Fantastique…

Derrière tripalium, on retrouve *trei- et la racine *pag- déjà aperçue dans Guerre et Paix. Et saucisse : elle est aussi à l'origine de paix. Elle correspond à l'idée d'attacher, d'enfoncer un pieux...

Tripalium


L'autre version (qui, malgré tout, me plaît beaucoup, je l'avoue, même si je ne peux y souscrire) :

"Travail" n'aurait pas vraiment de rapport avec trois, mais descendrait plutôt d'une racine proto-indo-européenne désormais perdue, ou en tout cas non encore identifiée, basée sur le couple de lettres "r" et "b" (ou "v").
L'intérêt de cette théorie "R-B(V)", c'est qu'elle permet de retrouver une seule racine à l'origine de certaines des (très) différentes appellations du travail selon les langues…

Elle pourrait ainsi être à l'origine ...
  • du latin laBoR
  • de l'allemand aRBei(t)
  • du russe RaBo(t) (PS: le terme robot nous arrive du slave, inventé par l’écrivain tchécoslovaque Karel Čapek dans sa pièce de théâtre R. U. R. (Rossum's Universal Robots) en 1920.)
  • de l'espagnol (t)RaBajo
  • du français (t)RaVail
  • du letton (d)aRBs
  • ...
Karel Čapek

Et puis,

Travail / travée / entraver...

travail vient peut-être du travail, l'instrument permettant d'entraver un cheval pour le ferrer.
Instrument constitué d'un assemblage de poutres massives.
Ou bien les deux acceptions du terme partagent-elles plutôt une même ascendance ?

L'origine du mot pourrait peut-être bien se trouver dans la poutre, ou l'entrave...
Entravar, en ancien provençal, c'était mettre une poutre...
Du latin trabes: poutre.

Nous parlons d'ailleurs encore de travée en architecture :
Une travée est une ouverture, un espace construit ou un élément de construction délimité par deux supports verticaux constituant les points d'appuis principaux ou les pièces maîtresses d'une construction (piliers, colonnes, arcs, fermes, poutres etc).

Mais bon, comment alors établir le lien entre poutre et travail (dans le sens boulot, job, poste)... ???

Une proposition, qui vaut ce qu'elle vaut: il y avait ces entraves que l'on appliquait aux animaux de trait comme le joug ou le collier d'attelage pour les faire travailler...

L'entrave serait ainsi naturellement devenue la marque, la représentation du travail auquel ces animaux (ou esclaves) étaient soumis...
D'ailleurs, ne parlons-nous pas de s'atteler au travail ?


Travail à ferrer
Cheval de trait muni d'un collier d'attelage

Boeufs sous le joug


Ce qui est sûr, en revanche, c'est que l'anglais travel (le voyage) descend du français travail !

Alors, étymologiquement, dans le meilleur des cas, pour nos amis d'outre-Manche, voyager c'est un sacré boulot, et dans le pire des cas, une véritable torture






Bon dimanche à toutes et tous!
Et à dimanche prochain…






Frédéric

dimanche 7 juillet 2013

diplomatiquement, je doute qu'un diplodocus ne mange que des biscuits, même à la brouette

"Truth is the most precious thing we have. Economise it"
Mark Twain

"La vérité est la chose la plus précieuse que nous ayons. Economisons-la."





Bonjour à toutes et tous!


Bon, on avait commencé, il y a quelques dimanches, une série sur les nombres: Namasté, nomade économe!

Après avoir traité du un
(Karaton (Aksungur), contemporain d'Olympiodore, 412-422, en était,
C'est simple: trop souvent ensemble, on finit par être assimilé l'un à l'autre...
et
"acolyte", au singulier, c'est bien sympathique. Même en sanskrit.), 

penchons-nous à présent sur le deux.

Si ce n'est pas assez clair


Je dois bien vous l'avouer, je ne m'attendais pas à trouver autant de matière autour de "deux"...


Alors, deux, le français deux nous vient du latin duo: deux.
Simple!

Et le latin duo, d'où qu'i vient hein?

Hein, hein??

Eh oui!

D'une racine proto-indo-européenne, précisément:

*dwo-


Et pas de surprise, *dwo- voulait bien dire: deux!


C'est une forme infléchie de *dwo-: *duwō-, qui est à l'origine du latin duo, ou du grec duo.

C'est bien entendu de cette forme que nous arrive le français duo, ou même l'anglais duet, provenant de l'italien duetto ("petite composition musicale pour deux voix").




L'anglais pour deuxtwo, lui, provient d'une autre variante de *dwo-: *duwo- (avec un "o" court), via le germanique *twa-, puis le vieil anglais twa.


Aaaah... Enfant, j'ai rêvé du Mississippi en lisant les aventures de Tom Sawyer, puis, à leur suite, celles de Huckleberry Finn

Le Mississipi

Tom Sawyer


Huckleberry Finn


Hemingway écrivit, dans "The Green Hills of Africa", que "toute la littérature américaine moderne provenait d'un seul livre de Mark Twain intitulé Huckleberry Finn".

Ah ça, Mark Twain savait clairement raconter une histoire, et était muni d'un sens de l'humour redoutable…

Mark Twain

Eh bien, saviez-vous que Mark Twain n'est qu'un nom d'emprunt?
Un nom plein d'humour, et qui vous raconte une histoire!

Car Mark Twain (30 novembre 1835 – 21 avril 1910) s'appelait en réalité Samuel Langhorne Clemens.

Il expliquait que son nom de plume, son "pen name", datait de ses années (à lui) où il était pilote sur les riverboats, ces bateaux à roues à aubes qui sillonnaient le Mississippi: la profondeur de l'eau était alors mesurée depuis le bateau par une corde à noeuds, où chaque noeud représentait un fathom, unité de profondeur marine qui correspondait à environ 1m80.
A la deuxième marque - le deuxième noeud, donc - qui garantissait une profondeur suffisante pour le tirant d'eau de ces bateaux, le sondeur criait à l'homme de barre "mark twain", que ce dernier comprenait comme "on a atteint la deuxième marque: on est bon"…

Riverboat


Twain est simplement une forme archaïque de two...

Cependant, je me dois de vous dire que des personnes mal intentionnées - ou particulièrement bien informées - ou les deux, l'un n'empêchant pas l'autre! - firent courir le bruit que le pseudonyme de l'écrivain provenait plutôt du trait sur une ardoise d'un saloon du Nevada: le deuxième trait sur cette ardoise, "mark twain" signifiait que le consommateur avait déjà deux verres impayés.
Et selon ces mêmes personnes, Samuel Clemens était plus que coutumier du fait.

En réponse, Mark Twain (oui, enfin… Samuel Clemens) donna alors une autre version de l'origine de son pseudo: il avait en fait repris le nom de plume du capitaine Isaiah Sellers, qui écrivait de brèves rubriques pratiques sur l'état de la navigation sur le Mississippi; rubriques qui paraissaient dans le quotidien de la Nouvelle Orléans The Picayune (devenu à présent The Times-Picayune), et qu'il signait de l'optimiste "Mark Twain": "tout va bien, on peut naviguer".

Quand le vieux capitaine décéda, Samuel Clemens récupéra simplement son pseudonyme…

The Picayune


Mais revenons à notre racine...

Une forme adverbiale de la racine proto-indo-européenne *dwo-: *dwis-, a donné, par le germanique *twi-, l'anglais… twilight: le crépuscule, ou même l'aube: ce moment particulier où deux lumières coexistent: celle du soleil et celle de la lune et des étoiles…

Belle illustration de twilight


Cette même forme *dwis- a donné le latin bis: deux fois, dont nous avons tiré ces mots en bi-, ou bis-, comme bis!, bicolore, bifurcation, bisser bien sûr, ou encore binaire, bipède, binocles, bicyclette, bissextile, bissectrice, bipolaire, bicéphale

Mais aussi: biceps: nom d'un muscle au bras ou à la cuisse, dont la partie supérieure est divisée en … (évidemment) deux!
Biceps nous vient du latin biceps, littéralement: à deux têtes, à deux faces

Bilan et balance: ces deux mots, étymologiquement jumeaux proviennent tous deux du latin bilanx: balance à plateau: bi- (deux fois) et lanx (plateau), via le latin populaire *bilancia.
Balance nous arrive par l'ancien français, alors que bilan nous est arrivé par l'italien bilancio.

Alors oui, le i original est devenu a en français.
Et alors??
Je n'ai en tout cas trouvé aucune explication, si ce n'est: "parce que".

D'ailleurs, on ne dit pas non plus avoir les bras billants. Et toc.


-- Edit --
Stéphane, lecteur fidèle du blog - et j'en profite pour le remercier! - me fournit l'explication attendue:
Bourciez (Phonétique française, étude historique) signale que le "i" court et le "e" long latins en syllabe initiale ont eu tendance à s'ouvrir en "a" en Gaule du nord mérovingienne notamment quand ils étaient suivis d'une liquide ou d'une syllabe accentuée avec un "a" ("balance" cumule les deux en plus).

Clair comme de l'eau de roche!
--Edit --
  • biais vient du latin bifax ("biface", "à deux faces", donc).
    Bifax serait alors propre à celui qui a un regard double, louche.
  • Ou alors, biais vient du latin *biaxius: qui a deux axes.


Combiner: du latin combinare: joindre deux à deux.

Biscornu: littéralement: qui a deux cornes.

La biscotte est une tranche de pain passée par deux cuissons; le mot nous vient de l'italien bis-cotto: "cuit deux fois" (et non le muscle).

Biscotte


Quant à biscuit, basé sur l'ancien français besquis, ce bon Jean de Joinville, biographe de Saint Louis, et qui n'en ratait pas une, nous précise qu'il faisait référence à "des petits pains que l’on appelle besquis parce qu’ils sont cuits de deux à quatre fois".


Jean de Joinville, qui malgré les
apparences, n'était pas timbré


Et besquis, i' vient d'où?

Ben oui, du latin "panis biscotus", signifiant, vous l'aurez deviné: pain cuit deux fois.


Alors, nous l'avons vu, dans balance, le i original est devenu a.
Eh bien, sachez que dans d'autres cas, ce même i est devenu un e.

Des exemples?

  • La besace, du latin populaire bisaccium, qui est un "double sac".
  • La bévue, c'est originellement la double vue: une erreur due à la vue confuse, donc.


Et parfois même, le "i" est devenu… rien! Le vide, l'absence, le manque, la non-existence…

J'en veux pour preuve... la brouette.

Brouette de course


Le mot nous arrive du bas latin (et non Balaton) birota.


Bas latin

Balaton

La signification de birota? Oh, rien de vulgaire, rassurez-vous: "véhicule à deux roues".

...
...
...

Alors, vous la posez votre question, mmmh?

- Mais mais, une brouette, enfin, ça a une seule roue!
- Mais voilà, vous voyez, ce n'était pas si difficile!

Et oui, une seule roue à une brouette.
En fait, le mot a d’abord désigné une petite charrette à deux roues et à deux brancards, qui servait à transporter des personnes.
On en est passé au transport de marchandises, et puis à la roue unique.
Mais en conservant le mot de départ...


C'est toujours sur le proto-indo-européen *dwis- que s'est bâti le grec dis, signifiant, comme en latin: deux fois.
Ou "partagé en deux".

En botanique, une racine didyme est formée de deux parties accouplées.
Didyme, du grec ancien δίδυμος, didumos: double, jumeau.

Enfin, ceci en mode politiquement correct.

Car δίδυμος désignait également les testicules, les deux jumeaux!
D'où nous vient épididyme, du grec ancien ἐπιδιδυμίς, epididumis, où le préfixe ἐπί- (epi) signifie "sur, par dessus, au-dessus".
L'épididyme, c'est un petit corps oblong, vermiforme, couché le long du bord supérieur du testicule.

Epididyme


Via le germanique *twis- nous est arrivé l'anglais… twist (tordre, tourner…)!
Qui devait à l'origine désigner une corde faite de deux brins torsadés.

Twist

Between! L'anglais between: "entre" signifie littéralement "au milieu de deux".
On y retrouve une ancienne forme tween préfixée en bi- (by-).

The Go-Between, de L.P. Hartley,
1953


L'anglais twin: jumeau, deux par deux, est construit sur le germanique *twisnaz: double.


Allez, on continue!

Une variante de notre racine *dwo-: *du-, nous a donné les français double, doublure, doublon, doublet, dédoublement, redoubler

Et puis, une forme composée, cette fois, de *dwo-: *du-plek- (*plek-, littéralement "tisser", allant devenir le plex: la surface plane formée par une étoffe), a engendré des mots tels que duplex, dupliquer ou duplicata, ou encore duplicité.


Un autre composé de *dwo-: *dwi-plo- (*plo- étant une forme variante de la racine proto-indo-européenne *pel-3, "pli"), nous a donné, par le grec diploos, diplous: "plié en deux", le...
diplôme, ce document officiel présenté sur un feuillet plié en deux; le grec ancien δίπλωμα, diplôma désignant plus précisément une tablette pliée en deux.

Mais *dwi-plo- nous a également  donné...
le diplodocus, cette "double poutre" (δοκο ́ς étant la poutre), animal possédant des os doubles à hauteur de la queue.

Diplodocus


Ou un tout autre genre d'animal: le diplomate!
Le diplomate n'étant que celui qui est porteur d'un diplôme: un sauf-conduit, un blanc-seing, des lettres de créance...


Bon, là je commence à saturer…
Allez, encore une!


Une autre forme composée de *dwo-, *du-bhwio-, par le latin dubitō: douter, nous a donné le mot doute!

Mais oui, douter, c'est hésiter entre (au moins) deux possibilités…!

Doute, dubitatif (non, ce n'est pas un synonyme d'éjaculateur précoce), indubitable, mais aussi
...
redoutable!

Redoutable: qui est à redouter, qui vous fait hésiter, douter…!!
Douter, en ancien français, avait aussi le sens de "craindre".





Ici, il fait magnifique!

Ici


Bon dimanche, bonne semaine à toutes et tous, et …

A dimanche prochain!






Frédéric

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