- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 7 juillet 2013

diplomatiquement, je doute qu'un diplodocus ne mange que des biscuits, même à la brouette

"Truth is the most precious thing we have. Economise it"
Mark Twain

"La vérité est la chose la plus précieuse que nous ayons. Economisons-la."





Bonjour à toutes et tous!


Bon, on avait commencé, il y a quelques dimanches, une série sur les nombres: Namasté, nomade économe!

Après avoir traité du un
(Karaton (Aksungur), contemporain d'Olympiodore, 412-422, en était,
C'est simple: trop souvent ensemble, on finit par être assimilé l'un à l'autre...
et
"acolyte", au singulier, c'est bien sympathique. Même en sanskrit.), 

penchons-nous à présent sur le deux.

Si ce n'est pas assez clair


Je dois bien vous l'avouer, je ne m'attendais pas à trouver autant de matière autour de "deux"...


Alors, deux, le français deux nous vient du latin duo: deux.
Simple!

Et le latin duo, d'où qu'i vient hein?

Hein, hein??

Eh oui!

D'une racine proto-indo-européenne, précisément:

*dwo-


Et pas de surprise, *dwo- voulait bien dire: deux!


C'est une forme infléchie de *dwo-: *duwō-, qui est à l'origine du latin duo, ou du grec duo.

C'est bien entendu de cette forme que nous arrive le français duo, ou même l'anglais duet, provenant de l'italien duetto ("petite composition musicale pour deux voix").




L'anglais pour deuxtwo, lui, provient d'une autre variante de *dwo-: *duwo- (avec un "o" court), via le germanique *twa-, puis le vieil anglais twa.


Aaaah... Enfant, j'ai rêvé du Mississippi en lisant les aventures de Tom Sawyer, puis, à leur suite, celles de Huckleberry Finn

Le Mississipi

Tom Sawyer


Huckleberry Finn


Hemingway écrivit, dans "The Green Hills of Africa", que "toute la littérature américaine moderne provenait d'un seul livre de Mark Twain intitulé Huckleberry Finn".

Ah ça, Mark Twain savait clairement raconter une histoire, et était muni d'un sens de l'humour redoutable…

Mark Twain

Eh bien, saviez-vous que Mark Twain n'est qu'un nom d'emprunt?
Un nom plein d'humour, et qui vous raconte une histoire!

Car Mark Twain (30 novembre 1835 – 21 avril 1910) s'appelait en réalité Samuel Langhorne Clemens.

Il expliquait que son nom de plume, son "pen name", datait de ses années (à lui) où il était pilote sur les riverboats, ces bateaux à roues à aubes qui sillonnaient le Mississippi: la profondeur de l'eau était alors mesurée depuis le bateau par une corde à noeuds, où chaque noeud représentait un fathom, unité de profondeur marine qui correspondait à environ 1m80.
A la deuxième marque - le deuxième noeud, donc - qui garantissait une profondeur suffisante pour le tirant d'eau de ces bateaux, le sondeur criait à l'homme de barre "mark twain", que ce dernier comprenait comme "on a atteint la deuxième marque: on est bon"…

Riverboat


Twain est simplement une forme archaïque de two...

Cependant, je me dois de vous dire que des personnes mal intentionnées - ou particulièrement bien informées - ou les deux, l'un n'empêchant pas l'autre! - firent courir le bruit que le pseudonyme de l'écrivain provenait plutôt du trait sur une ardoise d'un saloon du Nevada: le deuxième trait sur cette ardoise, "mark twain" signifiait que le consommateur avait déjà deux verres impayés.
Et selon ces mêmes personnes, Samuel Clemens était plus que coutumier du fait.

En réponse, Mark Twain (oui, enfin… Samuel Clemens) donna alors une autre version de l'origine de son pseudo: il avait en fait repris le nom de plume du capitaine Isaiah Sellers, qui écrivait de brèves rubriques pratiques sur l'état de la navigation sur le Mississippi; rubriques qui paraissaient dans le quotidien de la Nouvelle Orléans The Picayune (devenu à présent The Times-Picayune), et qu'il signait de l'optimiste "Mark Twain": "tout va bien, on peut naviguer".

Quand le vieux capitaine décéda, Samuel Clemens récupéra simplement son pseudonyme…

The Picayune


Mais revenons à notre racine...

Une forme adverbiale de la racine proto-indo-européenne *dwo-: *dwis-, a donné, par le germanique *twi-, l'anglais… twilight: le crépuscule, ou même l'aube: ce moment particulier où deux lumières coexistent: celle du soleil et celle de la lune et des étoiles…

Belle illustration de twilight


Cette même forme *dwis- a donné le latin bis: deux fois, dont nous avons tiré ces mots en bi-, ou bis-, comme bis!, bicolore, bifurcation, bisser bien sûr, ou encore binaire, bipède, binocles, bicyclette, bissextile, bissectrice, bipolaire, bicéphale

Mais aussi: biceps: nom d'un muscle au bras ou à la cuisse, dont la partie supérieure est divisée en … (évidemment) deux!
Biceps nous vient du latin biceps, littéralement: à deux têtes, à deux faces

Bilan et balance: ces deux mots, étymologiquement jumeaux proviennent tous deux du latin bilanx: balance à plateau: bi- (deux fois) et lanx (plateau), via le latin populaire *bilancia.
Balance nous arrive par l'ancien français, alors que bilan nous est arrivé par l'italien bilancio.

Alors oui, le i original est devenu a en français.
Et alors??
Je n'ai en tout cas trouvé aucune explication, si ce n'est: "parce que".

D'ailleurs, on ne dit pas non plus avoir les bras billants. Et toc.


-- Edit --
Stéphane, lecteur fidèle du blog - et j'en profite pour le remercier! - me fournit l'explication attendue:
Bourciez (Phonétique française, étude historique) signale que le "i" court et le "e" long latins en syllabe initiale ont eu tendance à s'ouvrir en "a" en Gaule du nord mérovingienne notamment quand ils étaient suivis d'une liquide ou d'une syllabe accentuée avec un "a" ("balance" cumule les deux en plus).

Clair comme de l'eau de roche!
--Edit --
  • biais vient du latin bifax ("biface", "à deux faces", donc).
    Bifax serait alors propre à celui qui a un regard double, louche.
  • Ou alors, biais vient du latin *biaxius: qui a deux axes.


Combiner: du latin combinare: joindre deux à deux.

Biscornu: littéralement: qui a deux cornes.

La biscotte est une tranche de pain passée par deux cuissons; le mot nous vient de l'italien bis-cotto: "cuit deux fois" (et non le muscle).

Biscotte


Quant à biscuit, basé sur l'ancien français besquis, ce bon Jean de Joinville, biographe de Saint Louis, et qui n'en ratait pas une, nous précise qu'il faisait référence à "des petits pains que l’on appelle besquis parce qu’ils sont cuits de deux à quatre fois".


Jean de Joinville, qui malgré les
apparences, n'était pas timbré


Et besquis, i' vient d'où?

Ben oui, du latin "panis biscotus", signifiant, vous l'aurez deviné: pain cuit deux fois.


Alors, nous l'avons vu, dans balance, le i original est devenu a.
Eh bien, sachez que dans d'autres cas, ce même i est devenu un e.

Des exemples?

  • La besace, du latin populaire bisaccium, qui est un "double sac".
  • La bévue, c'est originellement la double vue: une erreur due à la vue confuse, donc.


Et parfois même, le "i" est devenu… rien! Le vide, l'absence, le manque, la non-existence…

J'en veux pour preuve... la brouette.

Brouette de course


Le mot nous arrive du bas latin (et non Balaton) birota.


Bas latin

Balaton

La signification de birota? Oh, rien de vulgaire, rassurez-vous: "véhicule à deux roues".

...
...
...

Alors, vous la posez votre question, mmmh?

- Mais mais, une brouette, enfin, ça a une seule roue!
- Mais voilà, vous voyez, ce n'était pas si difficile!

Et oui, une seule roue à une brouette.
En fait, le mot a d’abord désigné une petite charrette à deux roues et à deux brancards, qui servait à transporter des personnes.
On en est passé au transport de marchandises, et puis à la roue unique.
Mais en conservant le mot de départ...


C'est toujours sur le proto-indo-européen *dwis- que s'est bâti le grec dis, signifiant, comme en latin: deux fois.
Ou "partagé en deux".

En botanique, une racine didyme est formée de deux parties accouplées.
Didyme, du grec ancien δίδυμος, didumos: double, jumeau.

Enfin, ceci en mode politiquement correct.

Car δίδυμος désignait également les testicules, les deux jumeaux!
D'où nous vient épididyme, du grec ancien ἐπιδιδυμίς, epididumis, où le préfixe ἐπί- (epi) signifie "sur, par dessus, au-dessus".
L'épididyme, c'est un petit corps oblong, vermiforme, couché le long du bord supérieur du testicule.

Epididyme


Via le germanique *twis- nous est arrivé l'anglais… twist (tordre, tourner…)!
Qui devait à l'origine désigner une corde faite de deux brins torsadés.

Twist

Between! L'anglais between: "entre" signifie littéralement "au milieu de deux".
On y retrouve une ancienne forme tween préfixée en bi- (by-).

The Go-Between, de L.P. Hartley,
1953


L'anglais twin: jumeau, deux par deux, est construit sur le germanique *twisnaz: double.


Allez, on continue!

Une variante de notre racine *dwo-: *du-, nous a donné les français double, doublure, doublon, doublet, dédoublement, redoubler

Et puis, une forme composée, cette fois, de *dwo-: *du-plek- (*plek-, littéralement "tisser", allant devenir le plex: la surface plane formée par une étoffe), a engendré des mots tels que duplex, dupliquer ou duplicata, ou encore duplicité.


Un autre composé de *dwo-: *dwi-plo- (*plo- étant une forme variante de la racine proto-indo-européenne *pel-3, "pli"), nous a donné, par le grec diploos, diplous: "plié en deux", le...
diplôme, ce document officiel présenté sur un feuillet plié en deux; le grec ancien δίπλωμα, diplôma désignant plus précisément une tablette pliée en deux.

Mais *dwi-plo- nous a également  donné...
le diplodocus, cette "double poutre" (δοκο ́ς étant la poutre), animal possédant des os doubles à hauteur de la queue.

Diplodocus


Ou un tout autre genre d'animal: le diplomate!
Le diplomate n'étant que celui qui est porteur d'un diplôme: un sauf-conduit, un blanc-seing, des lettres de créance...


Bon, là je commence à saturer…
Allez, encore une!


Une autre forme composée de *dwo-, *du-bhwio-, par le latin dubitō: douter, nous a donné le mot doute!

Mais oui, douter, c'est hésiter entre (au moins) deux possibilités…!

Doute, dubitatif (non, ce n'est pas un synonyme d'éjaculateur précoce), indubitable, mais aussi
...
redoutable!

Redoutable: qui est à redouter, qui vous fait hésiter, douter…!!
Douter, en ancien français, avait aussi le sens de "craindre".





Ici, il fait magnifique!

Ici


Bon dimanche, bonne semaine à toutes et tous, et …

A dimanche prochain!






Frédéric

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3 commentaires:

Maite Jiménez a dit…

TWIN......TWIN........¿Y Twinings, el rico té con aroma de bergamota?....quizás, quizás, quizas. Me ha gustado mucho.

Frédéric Blondieau a dit…

Quizás! Si, es posible: Thomas Twinings era el fundador...
Pero no encuentro referencias sobre el origen de su nombre...
Gracias Maite!

LeScrat a dit…

Aurjourdwi j’aurais 2x2 « mots » à vous dire.
1°) C’est peut-être tarte à la crème mais le diplomate n’est pas qu'un dinosaure en veston bleu marine et pantalon gris, mais également un gâteau (ça c’est pas de la tarte) composé de génoise détrempée de Kirsch généralement de forme carrée, ce qui me semble assez contradictoire avec son nom. Toujours fourrée (mais où donc ?) de crème et de fruits confits, qu’on fit ou con, fi !, sa génoise est parfois remplacée par des biscuits (tiens, tiens) car tout le monde s’accorde à le di-re, là où il y a de la gêne, … Oserais-je m’aventurer en disant que les eurocrates en servent des montagnes sur un plateau, le fameux plateau du Kirschberg ?
Lorsqu’il est recouvert de bonne pâte (mwais )… d’amandes il devient un « ambassadeur » et à en croire wiki, « différentes décorations peuvent être disposées dessus ». Ca ne s’invente pas ..
2°) Dans un style plus gaillard, « birota », qui à première vue pouvait signifier route à deux bandes (pardon), signifie donc à « deux roues ». Il me semble dès lors que « biroute » coule de source, non ? Bicéphale n’est donc pas la bête à 2 têtes même si la brouette pouvait le laisser supposer. Mais ne di-vaguons pas outre mesure.
3°) Comique que ce soit le germanique qui ait fait évoluer » le « *dwi » en « *twi ».Sans ça « big moustach’ » aurait chanté « Dea For Do » et aurait bu du Dwinings dans un Dé à coudre. Perso, m’en fous, c’est pas ma tasse de thé, je ne suis pas une Lady Thea.
4°) Parfois, certains dis-cours portent à croire que le diplomate est ainsi nommé parce qu’il parle deux langues : une de bois, l’autre étrange ou étrangère. De son habileté oratoire dépendront les bonnes relations entre deux pays. Et ce n’est pas faire preuve de double vue que de garder à l’esprit que « quand un diplomate vous dit « oui », cela signifie « peut-être », quand il vous dit « peut-être » cela veut dire « non » et quand il vous dit « non » …c’est que ce n’est pas un diplomate !!! »
Là-dessus, je m’en vais bi-vouaquer en chantant « Le soleil a rendez-vous avec la lune » en l’honneur de Twilight !
Allez dis, bonne semaine à tous, si le cœur vous en dit ;-)

Ps . Je connais des francophones des campagnes qui comptent bi-zarrement « 1,2,3 » 2-vient « An-ïe, deuïe, twô ». Et toute la théorie tombe à l’eau, non mais « Allo quoi ! »