- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 25 août 2013

neuf






Bonjour à toutes et tous!


Aujourd'hui: NEUF.


Neuf!
(Les neuf membres fondatrices de la
Women's Tennis Association.)
Et la "même photo", 40 auparavant...



Le français neuf vient du latin pour neuf: nŏvem.

Et le latin nŏvem, d'où qu'i' descend, lui, hein hein?

Mais oui, d'une racine proto-indo-européenne:

*newn̥-

qui sans surprise, signifiait "neuf"


Maintenant, sachez que selon d'autres conventions de retranscription du proto-indo-européen, cette racine est représentée sous la forme *h₁néwn̥-.

Personnellement, j'ai pris le pli, dans ce blog, de pratiquement systématiquement utiliser la version "simple", "claire" des racines retranscrites, car nettement plus parlante, mon but n'étant pas de faire un blog "savant" et illisible.

Quand j'utilise une version complexe, c'est que je n'ai pas trouvé de sources fiables offrant une transcription simple, et ne je tiens pas non plus à m'aventurer en eaux troubles en tentant une retranscription personnelle!

En voyant ces retranscriptions "à l'ancienne", comme *newn̥-, on entend déjà le son qu'elles produisent; ces formes sont donc pour moi nettement plus évocatrices, et racontent déjà une histoire.
On visualise aussi très facilement leur air de famille avec tous leurs dérivés nettement plus récents …

Mais bon, les formes "modernes", "académiques" de retranscription des racines, franchement infâmes et imbuvables sauf à des yeux de linguistes spécialisés qui passent leurs journées plongés dans l'étude du proto-indo-européen, ont l'avantage d'être plus précises, et surtout de livrer des clés sur la façon dont les mots dérivés vont s'en inspirer.

C'est ainsi que le "h₁" au début de la racine *hnéwn̥- désigne un "h" - consonne laryngale (donc produite au niveau du larynx, de la glotte) - sourd et non aspiré (c'est le symbole qui nous permet de le savoir) ; "h₁" ayant en outre la particularité de ne pas modifier, dans les formes dérivées, une voyelle (typiquement un "e") qui y serait accolée.

Contrairement, par exemple, à un "h2", désignant un "h" voisé cette fois, mais toujours non aspiré, et qui lui modifie le *-e suivant en *-a

Un "h3serait lui voisé et aspiré, et transformera un *-e en *-o.

Et si d'aventure vous tombiez sur un "h4", sachez qu'alors il est tout aussi voisé et aspiré, mais, comme "h2", transformera tout *-e en *-a.


Alors, oui, pour ce qui est du *-final de ces deux retranscriptions de racines, vous vous en doutez - si du moins vous suivez assidûment le dimanche indo-européen! - il s'agit d'un "n" sourd (COMMENT?) , donc produit sans vibration des cordes vocales.



*newn̥- est à l'origine d'une multitude de dérivés (signifiant tous "neuf") dans une chi…, euh, une très grande quantité de langues indo-européennes.

Quoi, vous en voulez quelques exemples?

Vraiment?

Bon, vous l'aurez voulu...

  • arménien ancien: ինն (inn)
  • letton: deviņi
  • lituanien: devyni
  • vieux prussien: newīnjai
  • gaulois: *nau
  • gallois: naw
  • vieil irlandais: noí
  • gaélique irlandais: naoi
  • mannois: nuy
  • anglo-saxon: nigon
  • anglais: nine
  • frison: njoggen
  • gotique: niun
  • vieux haut allemand: niun
  • allemand: neun
  • vieux norrois: níu
  • danois: ni
  • féroïen: níggju
  • islandais: níu
  • néerlandais: negen
  • grec ancien: ἐννέα, ennéa
  • grec: εννέα (ennea)
  • assamais: ন (na)
  • bengali: নয (nay)
  • cingalais: නවය (navaya)
  • goudjarati: નવ (nav)
  • hindi: नौ (nau)
  • pendjabi: ਨ (nauṁ)
  • ourdou: نو (nau)
  • sanskrit: नवन् (návan)
  • avestique: nava
  • sogdien: naw(a)
  • baloutche: نو (no)
  • kurmanji: neh
  • zazaki: new
  • pachto: نه (nə)
  • parachi: nō
  • parthe: (nah)
  • pehlevi: (nō)
  • persan: نه (noh)
  • tadjik: нӯх (nūh)
  • shughni: но̄в̌ (nōw)
  • yaghnobi: наԝ (naw)
  • catalan: nou
  • corse: novi
  • espagnol: nueve
  • italien: nove
  • mirandais: nuôbe
  • napolitain: nòve
  • occitan: nòu
  • portugais: nove
  • romanche: nov
  • roumain: nouă
  • sarde: noe, noi
  • biélorusse дзевяць (dzeviać)
  • russe: девять (deviat’)
  • ukrainien: дев'ять (dev'iat’)
  • bulgare: девет (devet)
  • macédonien: девет (devet)
  • serbo-croate: девет (devet)
  • slovène: devet
  • tchèque: devět
  • kachoube: dzewiãc
  • polonais: dziewięć
  • slovaque: deväť
  • bas-sorabe: źewjeś(o)
  • haut-sorabe: dźewjeć
  • agnéen (tocharien A): ñu
OK?

Avez-vous remarqué que dans les langues baltes (letton, lituanien... ) et slaves (serbe, russe, slovaque ...), le "n" est devenu un "d"?
N'y voyez aucune malice!
Rien de choquant, c'est un phénomène de dissimilation du *-n en *-d, propre aux formes balto-slaves...


- Ouais admettons, même si c'est un peu facile… Mais pourquoi alors, en latin, *newn̥- est devenu nŏvem? Pourquoi le "n" final est-il devenu un "m"???
- Oui, bonne question!

On a ici affaire à un ças d'analogie. Rien de vulgaire, rassurez-vous: simplement, la forme s'est modifiée pour ressembler, par analogie, à sĕptem: sept


On a beaucoup écrit sur l'origine de *newn̥-, et parfois - voire souvent - fait le lien entre "neuf" - le numéral et "neuf" - l'adjectif signifiant nouveau.

Certains vont même jusqu'à proposer (voire affirmer) que *newn̥- est basé sur la racine signifiant "nouveau": *newo- dont nous avons parlé dans C'est Noël!.

Oh, pourquoi pas! Même si je n'y adhère pas vraiment…

L'explication en serait qu'avec 8, on arrivait à la fin du comptage sur les doigts (si on ne tient pas compte des pouces, servant, eux, à compter en désignant les autres doigts - retournez les mains, les paumes vers vous et comptez en touchant les doigts de vos pouces, vous allez comprendre!).

Ainsi, selon plusieurs sources, le proto-indo-européen pour 8: *oktō(u)- signifierait littéralement 2 X 4: "deux fois les quatre doigts - qui servaient à compter par les pouces".

Et donc, "8" serait en quelque sorte un nombre butoir.
[C'est franchement très intéressant - et tentant! - mais le débat fait rage parmi les linguistes, et je ne m'avancerais pas trop sur ce terrain ; il y a à mon sens encore trop d'incertitudes...]
Pour en revenir à notre comptage digital, au delà de 8, on commencerait une NOUVELLE série.

D'où le rapprochement entre neuf et nouveau, neuf représentant la nouvelle unité après le 8, la racine *newn̥- étant un composé basé sur *newo-. "neuf" serait "le nouveau huit"...

C'est ce que vous trouverez sur Wikipedia:
"Le radical *e-neu̯en, *neu̯n̥, *enu̯n̥, *henekʷt- est un composé du radical *neu̯os ("nouveau, neuf")".

Ouaaaiiiiiis.

Bon, d'accord, c'est Julius Pokorny lui-même qui a émis cette théorie, ce qui n'est évidemment pas rien.
Mais ni Watkins ni J.P Mallory & D.Q. Adams ne suivent ses pas...

Ben oui, l'eau a coulé sous les ponts, et les théories ont été revues...

Dans mes sources, seul Joseph T. Shipley reprend la théorie de Pokorny, mais j'avoue que ça ne me rassure pas trop...

D'autant que les "très carrés" J.P Mallory & D.Q. Adams n'y croient aucunement, et émettent plutôt, arguments linguistiques plus récents à l'appui, l'idée d'une construction proto-indo-européenne basée sur "10-1" ("dix moins un"), une formation soustractive donc, sans aucun lien avec la notion de "nouveau".

Mais bon, encore une fois, tout n'est qu'hypothèse; à vous de choisir celle qui vous plaît le plus!!


Comme dérivé remarquable (car inattendu) de *newn̥-, citons enfin ... ...

noon!

Oui, l'anglais pour midi!

Gary Cooper dans High Noon ("Le train sifflera trois fois")
Fred Zinnemann, 1952


L'anglais noon est dérivé du latin nona hora, la neuvième heure, et fait référence aux nones, l'office de la neuvième heure du jour dans la liturgie catholique.

Au Moyen-Age, en nos contrées, la journée monastique commençait à six heures, donc la neuvième heure correspondait à notre "15 heures".
En anglais cependant, la signification du mot a dérivé ; le sens du mot a glissé pour en venir à signifier la "mi-journée", et plus tard et par assimilation, 12 heures, ce qui correspond à midi

Mais pourquoi donc ce glissement de sens?
Ben on n'en est pas trop sûrs...
Le sens aurait dérivé de 3 heures de l'après-midi à midi au cours du 12ème siècle, quand, en fonction des changements dans la tradition liturgique, les prières de la neuvième heure auraient été avancées pour être prononcées à la sixième heure.
Ce qui est certain, en tout cas, c'est qu'en 1140, le mot en vieil anglais non, ancêtre direct de noon, avait pris le sens de "midi", et désignait même le repas de midi...


Midi?
Mais c'est l'heure de donner ses croquettes à mon chien!
Ce que je vais faire de ce pas (car oui, il est presque midi…).




Bon dimanche à toutes et tous!

Merci de suivre mon blog, je ne le vous dirai jamais assez!

Bonne semaine, et… à dimanche prochain!





Frédéric

dimanche 18 août 2013

C'est alors que Jack Ryan proposa quelques After Eights au capitaine de l'Octobre Rouge


article précédent : Une semaine en septembre...



Bonjour à tous !


Sans surprise, huit !
(si vous êtes surpris, interloqués voire abasourdis, c'est que c'est la première fois que vous tombez sur ce site, ou que votre mémoire vous joue des tours…
Dans l'un ou l'autre cas, sachez que nous avons entamé un thème sur l'étymologie des nombres, et que dimanche passé, nous nous étions arrêtés à sept.)

Huit


A l'origine de notre français huit, une racine proto-indo-européenne - qui l'eut cru ? :

*oktō(u)-


Littéralement : ben, huit.

La plus ancienne forme (supposée, déduite) de cette racine, c'est *oḱtō(u)-.

Mais quoi qu'il en soit, notre huit français descend de *oktō(u)- par le latin ŏcto : huit.

Tiens, et ce "h" initial, qu'est-ce qu'il vient faire dans la danse ?

Ce "h", Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, ce "h" qui sert de première lettre à "huit", ce "h", étymologiquement, n'a strictement aucune raison d'être !!

Ce n'est qu'un ajout, et relativement récent.

Ainsi, au XIème siècle, "huit" s'écrivait encore uit, ou oit.

Le souci, c'est qu'au Moyen-Age, le "u" et le "v" s'écrivaient de la même façon…
(Évidemment, quand on écrit comme des cochons, qu'on passe son temps à faire des dessins et des enluminures sur vélin plutôt que de soigner son écriture)

Trouvez le V. Ah non, le U. Enfin euh...


Les clercs du Moyen-Age, dans leur grande sagesse, ont alors commencé à ajouter un "h" à uit pour subtilement indiquer que le mot se prononçait bien uit, et non vit

Ca vous surprend, vous estomaque, vous stupéfie, vous ébouriffe ?

Et pourtant, ce n'est pas le seul cas connu…

Je dis ça, je n'dis rien, mais si j'étais vous, j'irais par exemple voir du côté de huile, huis ou même huître


En germanique, le proto-indo-européen *oktō(u)- est devenu *ahtō-, sur lequel le vieil anglais eahta s'est construit, qui a donné naissance à l'anglais moderne eight.

Et sans eight, pas d'After Eight...!


Mais disons-le franchement, la racine proto-indo-européenne *oktō(u)- se retrouve en de très (très) nombreux descendants, dans la plupart des langues indo-européennes…

Allez, juste quelques exemples :

  • Vieil irlandais : ocht
  • Gaélique écossais : ochd
  • Allemand : acht
  • Suédois : åtta
  • Danois : otte
  • Islandais : ātta
  • Vieux norrois : átta
  • Espagnol : ocho
  • Italien : otto
  • Vieux prussien : asman
  • Armenien : ut'
  • Avestique : ašta
  • Grec ancien : ὀκτώ, oktō.
  • Tocharien A : okät
  • Tocharien B : okt
  • Sanskrit : अष्ट (aṣṭa)
En russe : восемь ("vociem").

Curieux ? 
Que nenni, car le "v" initial n'est pas original : en vieux russe, huit c'était juste осмь ("osem") ; ce v rajouté est dit "prothétique" ; la prothèse linguistique étant le fait d’ajouter un son au début d’un mot sans en changer le sens, pour des motifs articulatoires ou stylistiques.
Voir aussi ne confondons pas guerre intestine et gastro-entérite


Quelques mots dérivés ?
Bah, vous les connaissez tous !

Tous ces mots en oct(o)-, comme …

  • octave, intervalle de huit degrés en musique, 
  • octogone, polygone à huit côtés et huit angles,
  • octet, également appelé byte, une suite de huit chiffres binaires, ou 
  • l'anglais octopus (poulpe, pieuvre), du grec ancient ὀκτώπους (oktōpous) : ὀκτώ (oktō, huit, pour ceux qui suivent) + πούς (pous, “pied”): possédant huit pieds donc….
Octopus


Octobre est bien entendu le huitième mois, calqué sur le latin octōber, du temps où l'année commençait en mars… (voir Une semaine en septembre...)

Tiens, en russe, octobre se dit (et s'écrit) Oктябрь (actiabr)…

Comme dans Красный Oктябрь (crassneuye actiabr), "Octobre Rouge", le nom du célèbre - mais fictif - sous-marin de la classe Typhoon au centre de l'intrigue du roman de Tom Clancy The Hunt for Red October (1984), devenu simplement "Octobre rouge" en français.





Alors, bien sûr, ce sous-marin de combat silencieux, hyper-sophistiqué a été baptisé Octobre Rouge en hommage à la Grande Révolution d'Octobre.

Qui a éclaté en ... novembre

Eh oui : le coup d'état de Lénine et des Bolcheviks s'est déroulé le 25 octobre 1917 selon le calendrier julien, celui que suivait l'Église orthodoxe russe ; ce qui correspond au 7 novembre de notre calendrier, le calendrier grégorien

Vous vous souvenez, nous avions parlé des années bissextiles en évoquant le nombre 6 (Une sieste dans la Chapelle Sixtine ? Chaque année bissextile ?).

Eh bien, nous allons y replonger

- Immersion périscopique !
- Immersion périscopique, tavaritch kapitan!


The Hunt For Red October a été porté à l'écran dans un film du même nom de 1990 de John McTiernan.

Allez, je ne peux pas résister...

La grandiose et austère scène d'ouverture du film:
(même avec l'accent écossais, le russe ça vous transporte...)





Et puis, ici, l'équipage qui entame l'hymne national soviétique...
Brrrrrrrr (ça ce sont les frissons qui me parcourent l'épine dorsale)







Et enfin, ici, tiré de la bande originale, l'Hymne à Octobre Rouge dont on entend déjà quelques mesures dans la séquence d'ouverture, composé par Basil Poledouris, et chanté par les Choeurs de l'Armée Rouge...






Mais soit.

Ah c'est grand, émouvant même...
Mais il n'y a rien de plus haletant, de plus passionnant, vous en conviendrez, que le passage du calendrier julien au calendrier grégorien...

Dans le calendrier julien, tous les millésimes multiples de 4 sont des années bissextiles.
Astuce permettant de réaligner l'année-calendrier avec l'année effective en rajoutant donc (6x4=)24 heures tous les quatre ans, l'année effective, astronomique étant en réalité plus longue de 6 heures.

Nous sommes tous d'accord ?

Parfait.

Sauf que... l'année astronomique n'est pas exactement plus longue de 6 heures...
Elle l'est d'environ - mais ne chicanons pas - 5 heures, 48 minutes et 45 secondes.

Mince.

Un réajustement de 24 heures tous les quatre ans est donc un chouïa trop fort (en pilotage, on appellerait ça de la sur-correction), et produit à son tour un décalage dans l'autre sens d'environ 3 jours de trop par 400 ans par rapport à l'année astronomique.

Gasp.

C'est donc pour corriger cette dérive du calendrier julien que le calendrier grégorien fut conçu, à la fin du XVIème siècle.

"Grégorien" car imposé par le pape Grégoire XIII, en 1582.

Grégoire XIII

La différence entre les deux calendriers ?

Dans le grégorien, on ajoute toujours, tous les 4 ans (années dont le millésime est divisible par 4) un jour intercalaire, le 29 février - jusque là, rien de neuf - mais surtout : ON NE LE FAIT PAS lors des années séculaires qui ne sont désormais bissextiles que si leur millésime est divisible par 400.

Et c'est tout ! Aussi simple que ça !

En suivant cette règle, on n'a plus qu'un excès de 3 jours en 10.000 ans ; on ne va pas se formaliser pour si peu..

C'est ainsi que l'année 2000 fut bissextile, certes, mais que 2100, 2200 et 2300 ne le seront pas, 2400 étant la prochaine année bissextile séculaire.
Vous me raconterez.

Vous l'avez compris, le calendrier julien "retarde" par rapport au calendrier grégorien.

Si vous me suivez : puisque les années séculaires ne sont normalement pas bissextiles dans le calendrier grégorien, le retard du calendrier julien s'accroit donc, à la grosse louche, d'un jour par siècle.
Et à l'heure actuelle, pour tout vous dire, le retard est de 13 jours.

Lors de l'instauration du calendrier grégorien, en 1582, ce retard était de 10 jours.

Tant qu'à faire, donc, quand on est passé du julien au grégorien, on a sucré ces 10 jours de trop, pour qu'à nouveau l'équinoxe de printemps tombe le 21 mars.

Adopté à partir de 1582 par les États catholiques avec un zèle, une application, une diligence et un empressement tellement typiques des fayots, des premiers de classe : l'Espagne, l'Italie, la Pologne et le Portugal, puis plutôt en boudant, en traînant les pieds, à contre-cœur, en ronchonnant et en marmonnant entre les dents dans les pays protestants, l'usage du calendrier grégorien ne s'est finalement et progressivement étendu à l'ensemble du monde ... qu'au début du XXème siècle !

On ne croirait pas...

Dates d'introduction du grégorien de part le monde

En France, fille aînée de l'Eglise, Henri III adopta avec maintes courbettes et génuflexions le grégorien le 9 décembre 1582, dont le lendemain fut … le 20 décembre 1582.

En revanche, la Grande-Bretagne et les pays protestants n'adoptèrent le calendrier grégorien qu'au XVIIIème, "préférant être en désaccord avec le Soleil, plutôt qu'en accord avec le pape", comme le fit si joliment remarquer Johannes Kepler, protestant peut-être, mais surtout astronome, et visiblement aussi doué d'un solide sens de l'humour.

Johannes Kepler,
27 décembre 1571 - 15 novembre 1630

Et la Belgique ?
Mais elle n'existait pas, la Belgique, en 1582 !
Elle faisait partie des Pays-Bas espagnols, où en 1582, le 14 décembre fut suivi par le 25 décembre.

Olé.




(Vous imaginez la foire que ça a dû être à l'époque, tous les retards dans les livraisons d'Amazon et autres pour les fêtes de fin d'année ?)

Pour en revenir à la Russie, ce n'est qu'à la suite de la Révolution d'Octobre (enfin, de Novembre) de 1917 que le gouvernement révolutionnaire adopta le calendrier grégorien, en 1918 ; l'Église orthodoxe russe n'ayant jamais accepté ce calendrier imposé d'abord par des papistes, puis par ce gouvernement bolchévique, socialiste, révolutionnaire et surtout ... athée.


Restons-y encore un peu, en Russie, pour retomber sur nos pattes et élégamment revenir à notre sujet étymologico-dominical…


"huit" se dit, en russe : восемь (vociem).

C'est toujours bien la racine proto-indo-européenne *oktō(u)- qui en est le lointain parent, mais cette fois via une forme proto-slave *osmi-, un ancien adjectif ordinal signifiant "huitième".

Curieux, non, ce glissement du "k" original de *oktō(u)- en "s" de *osmi-
Ca ne vous rappelle rien ?

Ouiiii! Nous avons déjà parlé de ce phénomène de palatalisation, dans Une sieste dans la Chapelle Sixtine ? Chaque année bissextile ?.

Nous avons affaire au voisement de la consonne /ḱ/, se transformant ainsi en sibilante /s/.

- ???
- Ne vous inquiétez pas, c'est juste que ça m'amuse beaucoup, de placer des mots improbables
("aujourd'hui, je place... sibilante !")

Une consonne sibilante, c'est bêtement une consonne qui fait entendre un sifflement quand on la prononce… "sssssssss"

En français normal, on dira que le son "k" est devenu "s"…!

Mais surtout, gardez-ça quelque part...
Car on y reviendra ; on en reparlera dans pas trop longtemps, moi que j'dis…

Et là, ça risque de déchirer, je vous aurai prévenus !





Bon dimanche à toutes et tous,
Passez une très bonne semaine,
et… à dimanche prochain !






Frédéric

article suivant : neuf


dimanche 11 août 2013

Une semaine en septembre...




Tiens-toi à sept pas de l'éléphant, à dix du buffle, à vingt d'une femme et à trente d'un homme ivre.
Proverbe indien


(et à deux cents d'un éléphant ivre)



Bonjour à toutes et tous!


Passons donc, sans autre forme de procès, au nombre suivant de notre étude sur les nombres proto-indo-européens:

Sept.





Le français sept nous arrive d'une racine proto-indo-européenne...

*septm̥-

Qui voulait dire: sept.


Alors, vous êtes parfaitement en droit de vous demander le sens de ce symbole sous le "m".

En phonétique, on explique que le m français est une consonne 1. occlusive 2. nasale 3. bilabiale 4. voisée.

Qu'en d'autres termes pour produire le son "m"…

  1. on obstrue l'air du canal vocal: on bloque complètement l'écoulement de l'air au niveau de la bouche, du pharynx ou de la glotte, et on relâche soudainement ce blocage.
  2. on laisse l'air s'échapper par le nez
  3. on l'articule avec les deux lèvres
  4. on l'articule avec les cordes vocales.


Eh bien, le signe diacritique sous le m, qui donne ce curieux signifie que le m dont on parle ici est une consonne occlusive nasale bilabiale, certes, mais NON voisée!

Autrement dit, sourde: le son produit ne provient pas de la vibration des cordes vocales.

Un petit exemple de "m" en mode non voisé?
Sa prononciation dans le mot "asthme".

Pour un son "n" cette fois, mais toujours non voisé, vous pourriez aussi penser à la prononciation du "n" final de Gordon par certains anglophones, où le "on" reste curieusement dans la gorge… ("Gordnnn")


Mais revenons donc à notre racine proto-indo-européenne *septm̥-!

*septm̥- est à la base du français sept, mais aussi de tous ces mots pour "7" dans pratiquement toutes les langues indo-européennes, comme par exemple, parmi tant d'autres...

  • l'anglais seven
  • l'irlandais seacht
  • le gallois seithfed
  • l'allemand sieben
  • l'islandais sjau
  • l'espagnol siete
  • le grec ancien ἑπτά, heptá
  • le russe семь ("siém")
  • l'avestique hapta
  • le tocharien A spät
  • le sanskrit सप्तन् - saptán
  • … 


Le français sept, lui, nous arrive du latin sĕptem "sept".

Tout comme septennat, désignant un mandat de sept ans...


Un autre dérivé français du latin sĕptem, c'est ... semaine!

Semaine est un mot de la fin du XIème siècle qui nous vient du latin ecclésiastique septimania (Code de Théodose), qui signifie "groupe de sept jours"; septimania étant le féminin substantivé de septimanus: relatif à sept. Ou plus précisément, septmatins, le mot étant construit sur sĕptem (ben, sept) et mane (matin).

Théodose II, 401-450,
empereur romain d'orient

Sur semaine, nous avons créé semainier, qui désigne un feuillet distribué chaque semaine dans les paroisses, ou encore, en ébénisterie, un chiffonnier à sept tiroirs, ou en bijouterie, un bracelet à sept anneaux.







Mais, curieusement, l'adjectif qui correspond à semaine ne nous vient pas de sĕptem!

Hebdomadaire - c'est bien de lui qu'il s'agit - nous vient lui du latin hebdomadarius, qui signifiait semainier, emprunté au grec ancien ἑβδομάς - hebdomas: sept.
Lui-même basé sur *septm̥-...

Utilisé comme nom, le terme désigne à présent une publication paraissant chaque semaine.


Mais bon, sĕptem nous a aussi apporté …

Septembre.

Du latin september, le septième mois.

- Euh, mais septembre, c'est le neuvième mois??
- Oui, assurément, si ce n'est qu'à l'origine, l'année commençait en mars, et que donc le septième mois, c'était septembre

C'est du moins comme cela que le premier calendrier romain que nous connaissons, celui de Romulus nous a été transmis.
Ce calendrier ne comportait que 10 mois, se basant ainsi plus que probablement sur le calendrier étrusque, et commençait donc en mars!

Comme les mois qui le composaient faisaient bien 30 ou 31 jours, il restait environ 61 jours pour terminer l'année, hors calendrier.

Ces jours ne comptaient pas, littéralement!
On s'arrêtait de compter les jours durant l'hiver, en attendant les jours plus heureux des calendes de mars, qui marquaient la première lune du printemps…




Et puis - spécialement pour Lescrat - sĕptem nous donné, outre ce repère temporel dans le cycle de l'année qu'est septembre, un autre repère, géographique, qui nous permet de nous guider en nous basant sur le nord, même s'il est à présent désuet dans le langage courant:

septentrion!

Du latin Septentrio, de sĕptem et triōnēs, pluriel de trio: bœuf de labour.

Oui, car la constellation de la Grande Ourse était aussi appelée la constellation des sept bœufs, les Romains y voyant sept bœufs tirant une charrue.





Et là-dessus, je vous souhaite, à toutes et tous, un très bon dimanche, et une très bonne semaine, c'est le moins que je puisse faire!





Frédéric

dimanche 4 août 2013

Une sieste dans la Chapelle Sixtine? Chaque année bissextile?




King Arthur: The Lady of the Lake, her arm clad in the purest shimmering samite held aloft Excalibur from the bosom of the water, 
signifying by divine providence that I, Arthur, was to carry Excalibur. 
That is why I am your king.

Dennis: Listen, strange women lyin' in ponds distributin' swords is no basis for a system of government. 
Supreme executive power derives from a mandate from the masses, not from some farcical aquatic ceremony. 

Extrait de Monty Python and the Holy Grail, 1975







Bonjour à toutes et tous,

1, 2, 3, 4, 5 et… Six!


Pour cinq, il n'était pas si simple de rapprocher les deux mots pour cinq en français et en anglais…

Je crois pouvoir affirmer qu'avec six, le problème sera probablement moins complexe…

Ah ah ah ah.


Or donc, SIX!





Le français six, tout comme l'anglais six,

  • ou encore le vieil irlandais sé, 
  • le gaélique écossais sia et 
  • le vieux norois sex, de même que 
  • le lithuanien šeši, 
  • le sanskrit ṣáṣ, 
  • le tocharien A ṣäk ou 
  • le tokharien B ṣkas, 
  • le russe шесть ("chest") ou même, soyons fou, 
  • l'avestique xšvaš ou carrément 
  • l'ancien grec ἕξ - ex … 


Tous, TOUS vous m'entendez, nous viennent d'une seule et unique racine proto-indo-européenne:

*s(w)eks-


Un "w" y est placé entre parenthèses pour éviter toute allusion grivoise, mais aussi et surtout pour signifier que la racine s'est présentée sous plusieurs formes, avec ou sans w


On soupçonne en réalité l'existence d'une toute première occurrence de la racine, sous la forme

*ksweḱs-.

(Les linguistes spécialisés en proto-indo-européen ADOOOORENT les accents sur les k
A l'heure actuelle, on ne peut décemment plus défendre une thèse en proto-indo-européen sans y avoir recours.)
Sans rire, représente un son "ka", un phonème, donc, qui aura tendance à être palatalisé dans ses lointaines formes dérivées. (Enfin, lointaines par rapport à lui, mais proches pour nous; vous me suivez?) 
En d'autres termes, dans les mots dérivés, le son sera plutôt produit par l'avant du palais. La palatalisation d'un phonème "ke", ça donne un "che". 
Quelques exemples?
Par palatalisation, le latin castellum a donné l'ancien français chastel ; le latin caballus, lui, a donné cheval

C'est de cette forme *ksweḱs- que, par exemple, proviendrait en toute vraisemblance l'avestique xšvaš.


D'une forme ultérieure de la même racine: *seks-, nous avons reçu notamment le latin sex (six), sur lequel nous avons évidemment créé "six", mais aussi ce mot qui désigne une durée de temps de l'ordre de six mois consécutifs: semestre.

Et puis, il y a aussi ce vieux mot: samit.
Samit??

Mais oui!

Ce bon Jean-Baptiste-Bonaventure de Roquefort (écrivain français, historien mais surtout - pour ce qui nous intéresse - philologue (et en plus il est même né à Mons, mais bon, on ne va pas en faire un fromage) nous explique dans le tome deuxième de son Dictionnaire étymologique de la langue françoise que samis ou samit désigne...
une étoffe vénitienne de soie fine et précieuse brochée de fil d'or ou d'argent qui avoit l'éclat du satin, sorte de taffetas ou satin. En bas latin, samitum examitum fait du grec hexamitos, étoffe de soie; formé d'hex, six et de mitos, lice, fil; composé de six fils (lisses?); les Grecs appeloient polumitos un ouvrage fait de plusieurs fils tissus ensemble

Couverture du Dictionnaire
étymologique de la langue françoise


Et c'est bien du samit - dont provient l'anglais samite - le plus pur que la Dame du Lac se drape le bras pour faire jaillir Excalibur des profondeurs de l'onde, tel que décrit dans l'extrait de Monty Python and the Holy Grail en exergue…

Samit

La Dame du Lac récupérant Excalibur

Et c'est aussi du grec hexamitos que nous arrive, via le vieux slavon d'église, le russe Аксамит ("aksamit"), mot archaïque pour velours


C'est également sur cette même forme *seks- que s'est bâti le germanique *seks, sur lequel allait éclore bien plus tard l'anglais six

Vous constaterez donc que le français six et l'anglais six proviennent d'une même racine proto-indo-européenne, mais par des voies totalement différentes

Comme quoi, oui, ils sont proches l'un de l'autre, comme le bon sens le laisserait supposer, mais finalement ils ne sont que de très lointains cousins…


Sur une version suffixée cette fois, de la racine proto-indo-européenne *seks-: *seks-to-, s'est créé le latin sexto: sixième.

Nous l'avons utilisé pour former …

  • Sixtine, l'adjectif qualifiant la Chapelle de Sixte, le pape qui la fit bâtir (de 1477 à 1483): Sixte IV (et non VI). Sixte - Sixtus - étant littéralement le sixième...


  • sextant, l'instrument de navigation à réflexion portant un limbe divisé en 60 degrés


  • bissextile, comme l'année!

    - Euh, le lien avec six?

    - Une année bissextile est une année comptant 366 jours au lieu de 365, c'est-à-dire une année comprenant un 29 février (la prochaine aura lieu en 2016).

    - Oui, et alors??

    - Le terme vient du latin bis-sextilis, qui signifie "deux fois (bis) sixième (sextus)", soit deux fois "le sixième jour avant les calendes de mars" dans le calendrier des Romains.

    Quand ces gros malins constatèrent qu'une année effective était de 365 jours et 6 heures, ils réformèrent le calendrier pour ajouter 24 heures d'un coup à une année de 365 jours, et ce tous les 4 ans, ce qui somme toute est assez logique.
    Et qui prouve qu'ils savaient au moins que 6 X 4 = 24.

    Ce jour supplémentaire fut rajouté au mois de février.

    L'origine du mot bissextile vient de la façon dont César adopta la réforme: en fait, plutôt que d'ajouter un jour à la fin du mois de février, ce qui était vraisemblablement trop simple, pour donc en faire un mois de 29 jours, c'est le 24ème jour qui fut "doublé".
    (Oui, décision liée à des jours néfastes, semble-t-il, auxquels il valait mieux ne pas trop toucher)

    Ce jour supplémentaire, donc, était ajouté après le 24 février.

    Mais les Romains, qui n'étaient quand même pas tout à fait comme tout le monde, comptaient à rebours (d'ailleurs, cette réforme s'est passée en -46!!) et appelaient ce 24 février sexto ante calendas martii (sixième jour avant les calendes de mars - avant donc le 1er mars).

    Le jour supplémentaire s'appela donc logiquement bis sexto ante calendas martii (le deuxième sixième jour avant les calendes) d'où le nom d'année bissextile.

    (superbe explication, juste légèrement remaniée, trouvée sur pourquois.com)



  • sieste! Le mot date du Moyen Âge... De l'espagnol siesta, du latin hora sexta: "la sixième heure (du jour)", c'est-à-dire la sixième des heures canoniales; ce qui correspondait à l'heure de midi, donc l'heure la plus chaude, la plus propice à faire… la sieste





- Ouais bon, et cette fameuse version de *seks- avec un w: *sweks-, elle a donné quoi, alors??
- Oui, je n'oublie pas… Mais vous avez déjà la réponse…
- Mais je…??

Eh oui, sur *sweks- s'est basé le grec ἑξάς, èxas ("six"), d'où nous viennent le grec hexamitos et tous ces mots en hexa-, de hexagone à hexadécimal

Tableau de conversion
binaire / décimal / hexadécimal





Bon dimanche à toutes et tous!
Passez une excellente semaine, et …

A dimanche prochain!






Frédériḱ

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