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dimanche 19 janvier 2014

le démagogue est en quelque sorte le démon de la démocratie





Bonjour à tous !



Je vous avais promis une suite particulièrement salée à notre article de dimanche dernier consacré au français « temps ».

Oui, comme annoncé dimanche dernier, le « time » anglais n’a RIEN à voir avec le français « temps », malgré les troublantes ressemblances phonétiques et sémantiques entre ces deux mots.


Time.


J'irais même jusqu'à dire que cette absence de connexion entre temps et time est peut-être la chose la plus extraordinaire que j'ai pu tirer de ma passion pour le proto-indo-européen !!


Time, “le temps” en anglais, donc, nous vient de la racine proto-indo-européenne…

*dā-.

*dā-, c’était diviser.

C’est d’ailleurs une forme suffixée de la racine, *da-mo-, qui devait probablement signifier “division de la société”, ou quelque chose d’approchant, qui nous a donné le grec δῆμος, dêmos : le peuple.

Sur dêmos, vous le savez, nous avons créé démocratie, démographie, mais aussi …

  • démagogue. 

A l'origine, démagogue (δημαγωγός, demagós) désigne simplement celui qui dirigeait une faction du peuple, la deuxième partie du mot, ἀγωγός, ágogós signifiant guide ; démagogue se traduisant donc littéralement par « celui qui guide le peuple ».

Ce n'est que bien plus tard que démagogue a commencé à s'employer pour désigner celui qui cherche à dominer le peuple en feignant d'agir selon ses intérêts.

Deux démagogues pour le prix d'un

  • Ou démotique.

- Euh, démotique ?
- Mais oui ! Le démotique est, avec le grec et l'écriture hiéroglyphique, l'une des trois écritures figurant sur la pierre de Rosette, sur laquelle s'est basé Champollion pour déchiffrer les hiéroglyphes.

Le démotique, c'est une langue, ou une écriture, "à l'usage du peuple".

Ne dites plus populaire, ou vulgaire, mais démotique. Ça c'est la classe !





  • Ou encore démiurge.

Surprenant, hein ?

Eh oui, démiurge, que Rabelais emploie en 1546 sous la forme demiourgon,  provient du latin demiurgus, lui-même emprunté au grec ancien δημιουργός, dêmiourgos (« créateur de l’univers »).

Dans δημιουργός dêmiourgos, vous retrouvez, outre δῆμος, dêmos le peuple, ἔργον, érgon : le travail.
Littéralement - et originellement - donc, le démiurge, c'est celui qui travaille pour le peuple.

Dans Homère, le mot désigne tout homme qui exerce une profession (devin, médecin, ouvrier).

Dans un contexte religieux, et par (une solide) extension, il désigne bien entendu aussi le créateur du monde.


  • Mais n’oublions pas non plus tous ces mots en -démie que sont endémie, épidémie, ou pandémie
Classés par ordre d'importance du nombre de personnes infectées il y a l'endémie, l'épidémie et la pandémie.
  • Une endémie désigne la présence habituelle d'une maladie dans une région ou une population déterminée ("l'hépatite A est endémique en Thaïlande").
  • L'épidémie désigne l'augmentation rapide de l'incidence d'une maladie en un lieu donné sur un moment donné.
  • Quant à la pandémie, dans laquelle nous retrouvons le grec ancien πᾶν / pãn (tous), il s'agit d'une épidémie, mais à plus grande échelle, présente sur une zone géographique nettement plus large. Pensons à la peste noire, en Europe et en Asie, qui tua au XIVème siècle des dizaines de millions de personnes, ou au sida...

Médecin revêtu de son costume de
médecin de peste
, censé le protéger de
l'épidémie 


Sachez également que c’est une forme allongée particulière de *dā- *dai-, qui est à l’origine du grec daiesthai : diviser.

Que nous retrouvons dans Géodésie :

La géodésie, du grec ancien : γεωδαισία / geôdaisía, de γῆ / gễ (« Terre ») et δαίω / daíô (« diviser »), est la science, destinée à l'origine au tracé des cartes, qui s'est attachée à résoudre le problème des dimensions, puis de la forme, de la Terre.

Et une géodésique, en géométrie, désigne la généralisation d'une ligne droite sur une surface.

- Uuh ?
- Une géodésique, disons que c'est simplement le chemin le plus court entre deux points.
Et que ce chemin n'est pas toujours si facile à trouver...

Imaginez le gars qui habite dans un solénoïde torique, et qui doit rentrer chez lui...

Géodésique dans un solénoïde torique

Maintenant, vous me direz, 'faut pas être bien pour habiter dans un solénoïde torique...
Et personne ne l'a obligé, non plus.


Mais continuons : une autre forme, suffixée cette fois, de la variante *dai-: *dai-mon-, véhiculait les notions de diviseur, de fournisseur, de distributeur.

Comment passer de l’idée de diviser à celle de distribuer ?
Mais oui, considérant un tout, si vous le divisez en parts, alors vous pouvez le distribuer


C’est ainsi que, basé sur le proto-indo-européen *dai-mon-, s’est créé le grec ancien δαίμων, daímôn, désignant une divinité, un esprit, un génie … distributeur.

De quoi ? Mais de fortunes diverses : le daímôn était bon ou mauvais

Bien entendu, daímôn est devenu notre français démon, via le latin daemon.

En informatique, on utilise toujours le terme anglais daemon pour désigner un programme qui fonctionne par lui-même, en tâche de fond, comme un petit génie exécutant ses tâches sans que l’utilisateur ne fasse quoi que ce soit…


Philipp Pullman et son daemon
(Ben ouais, 'faut lire sa fantastique trilogie fantastique
His Dark Materials)


- Oui, bon, OK, mais et time ???
- Oui, patience, patience… on y arrive.

Une forme suffixée au degré zéro de la variante dai- : *di-ti-, est à l’origine du proto-germanique *tidiz, qui signifiait division du… temps !

Sur le germanique *tidiz s’est construit le vieil anglais tid : temps, ou saison.

Et OUI, c’est de là que nous arrive, non pas time (patience !), mais bien … … …

Tide ! Oui, la marée en anglais ! Ce changement périodique du niveau de la mer…


Le canal entre Chiswick Eyot et Chiswick Mall sur la Tamise
marée basse, et marée haute


Notez également que l’anglais tide peut toujours signifier, en langage liturgique, une période, un temps lié à une fête religieuse.

L’anglais tide est un cognat...

  • du scots tide, tyde (“moment, temps, occasion, période, marée”), 
  • du néerlandais tijd (“temps”), 
  • de l’allemand Zeit (“temps”), 
  • du danois ou du suédois tid (“temps”), 
  • de l’islandais tíð (“temps”), 
  • de l’albanais ditë (“temps”? non raté: “jour”!), 
  • du vieil arménien տի (ti): âge, ou encore
  • du kurde dem (“temps”).



Et enfin - OUI, nous y voilà ! - c’est par une forme suffixée au degré zéro *dī-mon-, devenue *tīmōn- en germanique, que la racine proto-indo-européenne *dā- se retrouve dans le vieil anglais tīma : temps, période, duquel découle l’anglais moderne time, le temps !

Même origine pour...

  • le scots tym, tyme (“temps”), 
  • le danois time (moment”, heure”, ou même encore leçon”), 
  • le suédois timme (“moment, heure”), 
  • le norvégien time (bon, voir le danois ou le suédois), 
  • ou encore l'islandais tími (“temps, saison”).


Time, étymologiquement, donc, correspond à une division, et probablement à la volonté de diviser le temps, pour mieux l'appréhender, entre deux occurrences de phénomènes naturels que seraient par exemple les saisons, les équinoxes, les solstices, ou simplement l'aube et le coucher du soleil...

Ben oui, forcément, difficile de parler
de time sans faire référence à Big Ben



Auriez-vous fait le lien entre time, démocratie et démon ?
Eh ben, moi non !



Là-dessus, on m’appelle pour l’apéro.
Je vous laisse,

Passez un bon dimanche, une très bonne semaine, et…

A dimanche prochain !






Frédéric


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