- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 17 décembre 2017

"je préfère la neige au foie gras" - F. Blondieau







L'enfance c'est de croire qu'avec le sapin de Noël et trois flocons de neige toute la terre est changée.

André Laurendeau


André Laurendeau, 1912 - 1968,
romancier, dramaturge, essayiste,
journaliste et homme politique canadien.
























Bonjour à toutes et tous !

Dimanche dernier, nous parlions du foie. Et même du foie gras. Et si vous avez bien lu l'article, vous aurez également déduit qu'en utilisant l'expression foie gras, on est 
- si du moins l'on s'en tient à la sémantique de départ du mot foie telle que nous la livre son étymologie -,
très proche du pléonasme... 
Quand Luis Ocaña voyait Merckx partir en danseuse, il avait les foies.


Quant à “figue farcie au foie gras, là, je ne sais même pas comment
qualifier ça.
Une mise en abîme pléonasmique ?


Aujourd'hui, restons dans le sujet


Non non, plus question de foie gras, du tout.

Mais voilà... nous entrons dans une période bien particulière de l'année.

Durant laquelle beaucoup d'entre nous - du moins sous nos latitudes - rêvent de foie gras, certes, mais aussi de ... neige...
 

D'un Noël blanc ! 

Ah, je vous avoue que je préfère la neige au foie gras. Mais bon...

Chawton Library, pas loin de là où vécut Jane Austen, dans le Hampshire



Alors, neige !






Notre français neige est le déverbal de, de... (je vous aide: il s'agit d'un verbe) ... neiger

Exactement.


Et neiger est construit sur le latin tardif
*nĭvĭcare, fréquentatif du bas latin nivere, attesté sous la forme impersonnelle nivit, “il neige” au IVème, mais que l'on retrouve aussi, deux siècles plus tard, au sens figuré, pour signifier “ devenir blanc comme neige”.


Nivere, quant à lui, dérive du latin nix, nivis, “neige”, quoi de plus normal !
Et à l'origine de nix, nivis, ben, le verbe latin ningit, ningere, “il neige”.




le Forum romain sous la neige

Simple !


Alors, oui, je peux encore vous préciser qu'en ancien français, nous employions un autre dérivé de nĭx pour désigner la neige


Eh oui ! 

Neif, attesté en 1080, issu de nĭvem, l'accusatif de nĭx. 
Neif qui deviendra même noif. 

Plus tard cependant, la forme neige (naige, 1329)
déverbal de neiger, on se ressaisit -
évincera ce neif devenu noif, purement et simplement. 



Et c'est bien fait. Non mais, vous imaginez ? 
Oh, regarde comme le jardin est beau sous la noif  !

On suppose que si noif a laissé si facilement le champ libre à neige, c'est qu'on ne faisait plus à l'époque le lien entre lui et neiger, et que par ailleurs, il ressemblait un peu trop à noiz, noix, du latin nux.



Ah oui ! Et le très récent français névé (1840), amas de neige durci, d'origine provençale, dérive lui aussi de nix, nivis.



névé

Tout comme notre nivéal, terme de botanique pour “qui fleurit en hiver”.


Perce-neige, plante nivéale.


Ou l'adjectif nival, désignant en géographie ce qui est formé de neige, ou qui concerne la neige.

Ou encore l'élément nivéo- et sa variante nivo-, tirés du latin niveus, de neige” 
(nivo-glaciaire, nivosité, nivométrie...).

Pensons enfin à ce si joli - mais idéologiquement un peu lourdnivôse que ce brave Fabre d'Églantine voulut proposer au calendrier républicain pour nommer la période s'étendant plus ou moins du 21 décembre au 19 janvier, où la neige blanchit la terre. 




Fabre d'Églantine

Aujourd'hui, en Belgique, plus question de nivôse, de vendémiaire ou de thermidor, mais bien de congé d'automne pour le congé de la Toussaint, de vacances d'hiver pour les vacances de Noël, ou même de congé de détente pour celui de Carnaval.
C'est toujours la même rengaine, la même vieille histoire bien puante : l'idéologie au pouvoir entend renommer les choses, pour les faire exister selon SA conception du Monde.  


Comme nous pouvons le supposer, le latin nivere s'est dérivé dans d'autres langues romanes. 


En vrac, retenons le catalan neu, l'espagnol nieva, le portugais nevar (même si em Lisboa neva raramente), ou encore l'italien nevicare, remarquable continuation du latin tardif *nĭvĭcare.




Ça, c'est pour expliquer notre neige, dérivé du latin ningit, ningere, “il neige”.



Mais vous vous en doutez, on ne va pas en rester là.

Non, le latin ningit, ningere ne sortait pas d'une pochette-surprise.




Que nenni. Il provenait d'une forme proto-italique (non attestée) *sneiwe/o-, “neiger”.



Et cette racine italique *sneiwe/o-, 
“neiger”, OUI, elle dérivait d'une racine indo-européenne.






*sneigʷʰ-“neiger”




Reprenons donc:


*sneigʷʰ-“neiger”
proto-italique *sneiwe/o-, “neiger”
latin ningit, ningere, “il neige”.
latin nix, nivis, “neige”
bas latin nivere , “neiger”
latin tardif *nĭvĭcare, fréquentatif de nivere
français neiger
neige






- Mais oh ! Et ce s qui débarque, là, et qui n'existe plus après, c'est vraiment n'importe quoi ! 

Encore un de tes coups foireux, hein !








- Oh, bonjour ! Oui, vous pouvez trouver ce s voyageur quelque peu incongru.

Il s'agit en fait d'un phénomène de s-mobile, bien connu en linguistique indo-européenne, qui fait qu'un *s- initial présent dans la racine indo-européenne, quand suivi d'une consonne, n'est pas repris systématiquement dans l'ensemble des dérivés de la racine.


Pensons au latin tonāre, “tonnerre”, dérivé de la racine indo-européenne *(s)ten-.

On en parlait ici : Tu quoque, Brutis, belli-fili mi  
Et on en a eu encore un bel exemple ici : un appentis en parpaing, ça ne fera jamais un penthouse


Bon, ce s-mobile doit déjà vous mettre en appétit, non ? 


Car forcément, il apparaîtra dans d'AUTRES dérivés de notre charmante  - et tellement bien de saison - *sneigʷʰ-“neiger”, que peut-être, vous pouvez déjà deviner...


Pom pom pom....






Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une très bonne semaine !






Frédéric









******************************************
Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
******************************************




Et pour nous quitter,

Sur un texte de Michel Delancray et un arrangement de Laurent Voulzy - eh oui ! -, 

sur une musique composée par lui même - et comprenant un bel anatole -,
Pascal Danel interprète Kilimandjaro, 1966. 



Même si bien naïf, ce slow nous renvoie quand même à

Hemingway et son
The Snows of Kilimanjaro...


Dans les années 70 (ou 60-10, pour nos amis français), jeune ado, j'adorais danser sur ce slow, où, lors de cette interruption si caractéristique avant l'anatole du refrain, je m'arrêtais net, pour repartir en rythme et en cadence, sur ledit refrain.

Ce qui faisait généralement beaucoup rire celle qui avait curieusement accepté cette danse avec moi ce soir-là, parmi toutes celles qui devaient rester assises le long de la piste pour garder le sac de leur copine.

(c'est à cette époque que j'ai dû réaliser que je ne serais jamais celui vers qui se tourneraient irrésistiblement les regards féminins, et que seuls l'humour et la boisson me permettraient d'affronter sereinement la vie)

******************************************
Vous voulez être sûrs (sûrs, mais vraiment sûrs) de lire chaque article du dimanche indo-européen dès sa parution ? Hein, Hein ? Vous pouvez par exemple...
******************************************



Aucun commentaire: