- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 24 décembre 2017

"La neige ne brise jamais la branche du saule.” - Proverbes de la Chine et des Nippons








Quand, durant tout un jour, il est tombé de la pluie, de la neige, de la grêle et du verglas, on est tranquille. Parce que, à part ça, qu'est-ce que vous voulez qu'il tombe ? ... Oui, je sais, mais enfin, c'est rare...

 Pierre Dac, 

L'os à moelle,
pensées et maximes,

André Isaac, dit Pierre Dac,
1893 - 1975 





















Bonjour à toutes et tous !

“Neige !







Dimanche dernier, nous avons vu comment la racine indo-européenne *sneigʷʰ-“neiger”, était passée en latin, et de là, en notre belle langue française.



*sneigʷʰ-“neiger”
proto-italique *sneiwe/o-, “neiger”
latin ningit, ningere, “il neige”.
latin nix, nivis, “neige”
bas latin nivere , “neiger”
latin tardif *nĭvĭcare, fréquentatif de nivere
français neiger
neige



En ce dimanche 24 décembre 2017, où 

- choisissez l'option qui qui vous correspond le mieux, plusieurs choix sont possibles -
vous vous apprêtez ...
  • à passer un heureux moment en famille, 
  • à boire et bouffer comme des cochons,
  • à célébrer symboliquement la naissance du Christ
(symboliquement puisque le Christ, selon l'étude historique des Écritures et un peu de bon sens, n'a pu naître un 24 décembre),
  • à célébrer le retour de la Lumière dans les Ténèbres, manifesté en ce bas-monde - dans l'hémisphère nord de notre planète du moins - par le solstice d'hiver (moment de l'année où l'on fait, curieusement, naître l'enfant Jésus),
  • en bon Papageno, à célébrer l’avènement d'un monde sans spiritualité et sans Tradition, et réfléchir sur les moyens d'éradiquer de notre vocabulaire toute référence à ce qui pourrait, selon votre vision autant militante que limitée, sembler religieux (pire que ça: catho, beeeerk),
nous allons, de notre côté, poursuivre l'étude de la charmante *sneigʷʰ-“neiger”, et surtout de ses dérivés.





Or donc !

En grec ancien, notre douce *sneigʷʰ-,
par l'intermédiaire de la délicieuse forme *sneigʷʰ-e-“il neige”,
a donné νείφει, neíphei, “il neige”, sur lequel se sont construites alors les autres formes verbales grecques dérivées.

Notons cependant un substantif qui en découle:
νίφα, nipha, “neige”, mais plutôt la neige qui tombe, ou même le flocon...


neige qui tombe...



... et flocons



*sneigʷʰ-“neiger”
forme *sneigʷʰ-e-“il neige”
grec ancien νείφει, neíphei, “il neige”
grec ancien νίφα, nipha, “neige qui tombe, ou en flocon”



Je ne vais pas m'étendre plus longuement sur le grec, car nous n'en avons rien repris. 

Cependant, sachez que, formellement, νείφει, neíphei correspond remarquablement bien à d'autres cognats descendant de *sneigʷʰ-,
- cognat (linguistique) Mot d’une langue ayant la même origine qu’un autre mot appartenant à une autre langue -
comme l'avestique snaēža-, de même sens.


Ah ben ça ! En voilà une transition qu'elle est bonne !

Tant qu'à parler d'avestique, restons par là, voulez-vous...

L'avestique snaēža- dérivait de notre *sneigʷʰ- indo-européenne par une racine 
- alors, non, pas proto-celtique. Pas proto-italique non plus. OUI : -
 proto-indo-iranienne, *snaiǰ- , “neiger”.



*sneigʷʰ-“neiger”
forme *sneigʷʰ-e-“il neige”
racine indo-iranienne *snaiǰ- , “neiger”

avestique snaēža-, “il neige”



Et OUI, ici, le s-mobile s'est remis à sa place, bien vu !







- Maisje ???





- alors, relisez "je préfère la neige au foie gras" - F. Blondieau


Il s'est remis à sa place, comme vous pouvez encore le constater dans cet autre descendant de l'indo-iranienne *snaiǰ, le moyen sogdien (c'est pointu) šnyš -, retrouvé dans l'écriture manichéenne utilisée par les Sogdiens (Sogdiens, qui, je ne vous le cache pas, étaient de langue scythique).
 (oui, vous aurez déduit que l'écriture manichéenne, c'était une écriture où tout était noir ou blanc).
la preuve: rien que des lettres noires sur fond blanc


Toujours par là, dans le groupe des langues indo-iraniennes - vous avez fait le lien -, nous retrouverons encore le shughni жиниҷ (“jinitz).
En vous précisant que le shughni, langue pamirienne du sous-groupe des langues iraniennes du sud-est, se parle au Tadjikistan, et pour tout vous dire, dans la région autonome du Haut-Badakhchan.


en bas à droite sur la carte



Quant à neige en rushan, ça se dit jinitz. 

Oui, ça ressemble étrangement à du shughni, mais 'faut dire aussi que le rushan et le shughni sont comme qui dirait voisins, le rushan se parlant également dans le Haut-Badakhchan.


Et si je vous dis jinitch, vous aurez évidemment compris que je vous dis neige en bartangi, qui se parle, lui
- comme c'est surprenant, et tellement imaginatif -,
dans la région autonome du Haut-Badakhchan.


Et soyez heureux que je ne poursuive pas avec le khufi et l'oroshori, ce dernier se parlant quand même par près de 2000 locuteurs, dans le village de Rōšōrv. 

Rōšōrv, dans la région autonome du Haut-Badakhchan.



non, ce n'est pas Rōšōrv, mais une autre mégalopole en plein milieu du Pamir






- Mais ... et le sanskrit, alors ?


T'as rien en sanskrit, ou tu t'fais prier, p'têt ??





- Bonjour ! Vous êtes attentif, aujourd’hui, et toujours de bonne humeur, en plus ! 

Alors, oui, j'ai bien quelque chose en sanskrit, mais le problème, c'est que ça ne va pas - mais alors pas du tout - dans le sens des autres dérivés de *sneigʷʰ-, qui pointent tous, d'une façon ou d'une autre, vers “neiger”.

Car en sanskrit, nous avons le radical sneh, descendant sans doute aucun de *sneigʷʰ-, mais qui n'évoque absolument pas la neige, ou l'action de neiger

Non, sneh se traduirait par coller (adhérer), rester.


Ainsi, le verbe स्निह्यति, snihyati signifie être adhésif ou collant, rester, adhérer, devenir mouillé, gluant.... 
(Et même, métaphoriquementrechercher de l’affection ! Oui, pensez à adhérer, s'agglutiner, ou encore mieux, à pot de colle...)



















Encore plus fort: le sanskrit स्नेह, sneha désigne, lui, ce qui est collant ou gras, ou encore tout fluide corporel.


Non, pas de photo


Ce virevoltant changement de sens est d'autant plus curieux qu'en prâkrit, dérivé (notamment) du sanskrit classique, on retrouve siṇeh-, siṇhā- pour “neige”...



Alors, qu'en penser ?

La théorie la plus plausible, me semble-t-il, est que le sanskrit sneh a bien repris, en un premier temps, le sens de la racine indo-européenne *sneigʷʰ- (“neiger”, pour les plus fatigués d'entre nous).

On en retrouverait encore la trace  dans la 3ème personne du singulier du causatif स्नेहयति, snehayati, que Stephanie W. Jamison, 
du département des langues et cultures asiatiques de la prestigieuse UCLA (l'Université de Californie, réputée pour son programme d'études indo-européennes),
Stephanie W. Jamison
traduit par “recouvrir de neige, détruire”.


Ce qui se serait passé ?

Here's what happened

L'émergence ultérieure d'une acception secondaire, peut-être même argotique, de coller, adhérerfluide collant”, fondée sur la comparaison entre certains fluides corporels blanchâtres (je vous laisse chercher : morve, crachat, sperme ?) et de la neige.

la neige, ça peut aussi être ça !


Je vous laisse réfléchir à tout ça, et vous propose de nous retrouver dimanche prochain, pour la suite de notre tour des dérivés de la gentille indo-européenne *sneigʷʰ-“neiger”.




Et surtout, surtout, que vous soyez des Tamino ou des Papageno, des Pamina ou des Papagena
- mais replongez-vous dans Die Zauberflöte, K. 620, enfin ! Le couple Tamino / Pamina réprésente l'archétype de l'homme en chemin, celui qui tente d'avancer sur la difficile voie de la spiritualité, pour tenter de rejoindre son Maître Intérieur, alors que le couple Papageno / Papagena correspond à ces braves gens qui surtout ne se remettent pas en question, ne croient que ce qu'il voient, et se contentent de la vie et de ses plaisirs, à des lieues de la démarche intérieure de Tamino et Pamina évidemment, qui ne peut, en toute cohérence, que leur passer par-dessus la tête -,
un Noël de Papageno


que vous vous apprêtiez à festoyer ou à célébrer l’avènement de la Lumière (dans son avatar chrétien ou pas), 


je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, une bonne remontée 

- nous avons touché le fond, avec le solstice d'hiver, à nous de nous élever à nouveau-,
une douce dernière semaine de l'année, et un 



JOYEUX NOËL !



Frédéric


PS: ne vous inquiétez pas, nous sommes tous, selon les humeurs, les circonstances et les étapes de la vie, tantôt des Papageno, tantôt des Tamino.
Seuls les Papageno s'imaginent qu'ils sont des Tamino.
C'est (notamment) d'ailleurs à ça qu'on les reconnaît.
Lino aurait pu la sortir, celle-là...





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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
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Et pour nous quitter,



Pamina et Papageno, dans un des plus beaux duos
que l'oreille humaine ait pu entendre...


Bei Männern, welche Liebe fühlen,
Die Zauberflöte, K. 620, Wolfgang Amadeus Mozart 


Et pour faire le lien avec notre dernier article sur foie,


Quand Luis Ocaña voyait Merckx partir en danseuse, il avait les foies.,


c'est un descendant de l'illustre famille d'abrutis qui a compris que formaticus voulait dire fromage, et que fīcātum voulait dire foie

qui a traduit Die Zauberflöte par la Flûte Enchantée, alors qu'il eut fallu entendre
La Flûte merveilleuse, La Flûte magiquela flûte enchanteresse”...

La flûte agit, c'est elle qui enchante ; ce sont les méchants, ou les animaux sauvages qui, à l'entendre, sont charmés, enchantés.



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Vous voulez être sûrs (sûrs, mais vraiment sûrs) de lire chaque article du dimanche indo-européen dès sa parution ? Hein, Hein ? Vous pouvez par exemple...

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