- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 10 mai 2015

Avez-vous déjà contemplé l'anatomie d'un chevalier du Temple ? Moi non


article précédent : j'en suis si-dé-ré !




La contemplation, c'est suspendre le temps à coups de beauté.

Delphine Lamotte 



C'est cela, oui.

Frédéric Blondieau



Bonjour à tous !

Dimanche dernier, nous avions évoqué la racine *sweid-1,briller”, à l’origine du latin consīdero, consīderare, construit sur le préfixe cum- revêtant un caractère d’intensité, et sur sīdus, la constellation.

Considérer, donc, originellement, signifiait regarder intensément le ciel, le contempler pour y lire les présages…




Eh bien, je vous propose pour ce dimanche d’embrayer là-dessus.

Et de nous intéresser, précisément à ce “contempler” que j’avais mentionné à escient dimanche dernier… (si si)


Contempler, vous pouvez aisément vous en doutez, provient d’un composé latin, où l’on retrouve à nouveau cum-, toujours à prendre dans en sa qualité de préfixe intensificateur.

Le verbe latin de base, c’est contemplari.

À plus d'un titre, on peut relier contemplari et consīderare, dans la mesure où l’un et l’autre proviennent de la langue augurale pour ultérieurement passer dans l’usage commun et se laïciser à l’occasion.

En outre, les deux mots sont pratiquement synonymes.

Ce qui est particulièrement intéressant en ce qui concerne contemplari, c’est bien évidemment sa deuxième partie, -templari.

Car derrière templari, nous retrouvons le latin… templum.

Oui, ce templum qui donnera notre français ... temple.

maquette du Temple de Salomon


Templum, terme de la langue augurale
- les augures n’ayant vraiment rien d’autre à foutre qu’à aimant à scruter le ciel pour y discerner tout présage -,
désignait en réalité, non pas un temple (dans le sens que nous donnons actuellement au mot), mais bien un espace d’observation que l’augure délimitait dans le ciel - voire sur la terre -, dans lequel il recueillait et interprétait les présages.

Le temple, c’était cette zone d’observation, un quadrillage que l’on délimitait, découpait mentalement devant soi.

Vous avez vu The Draughtsman's Contract, curieusement traduit en français par "Meurtre dans un jardin anglais"? 

Moi je l'ai vu plein de fois.  
(Et me suis juré de le revoir encore et encore tant que je ne l'aurai pas compris... )
Eh bien, dans ce superbe film de Peter Greenaway, le dessinateur, ce draughtsman dont il est question, va utiliser un appareil à visée lui permettant de délimiter, de fixer sa vision des choses, pour que son dessin soit le plus proche de l'original...

Ah bien sûr, on ne peut évoquer The Draughtsman's Contract sans sa musique.
Parfaitement en symbiose avec le thème du film. Vraiment. 
Car si Peter Greenaway "revoit", "revisite" la façon de peindre de l'époque en y incorporant un appareil anachronique, Michael Nyman, le compositeur de la bande originale du film, fait rigoureusement la même chose, avec... la musique. 
Il prend de la musique d'époque, par exemple le prélude à l'Acte III, Scène 2 du sublime opéra de Henry Purcell, King Arthur, et il modernise le morceau, à sa manière répétitive, pour qu'il devienne en quelque sorte le pendant auditif des images projetées, Chasing Sheep is best left to Shepherds... (c'est le titre du morceau re-créé
Génial.


Ci-dessus le morceau de Michael Nyman, Chasing Sheep is best left to Shepherds


Et ci-dessous, l'original, de Purcell...




Mais revenons à temple, ou plutôt au latin templum.

Le mot était utilisé par les augures dans leurs rituels sacrés ?

Par extension, le mot en vint à désigner un endroit consacré aux dieux, un… temple.


la Maison Carrée, à Nîmes

C’est déjà très fort, non ?

Mais poursuivons, car ça ne fait que commencer

Ce templum latin, il venait, bien entendu, d’une racine proto-indo-européenne…

*temə-1

dont le champ lexical pouvait se résumer à … couper, découper.


C’est particulièrement à une forme suffixée de la racine, *temə-lo-, que nous devons ce templum latin, “découpe (dans le ciel)”.

Et donc, par là, le français s’est enrichi de quelques mots de vocabulaire : temple, contempler, mais aussi contemplation, contemplatif.

On parle souvent de la voie contemplative, l’une des voies spirituelles traditionnelles, propre par exemple à la vie monastique.

procession de Trappistes

procession de Trappistes


Sans rire, vous auriez fait le rapprochement entre contempler et temple, vous ??


En grec, notre racine, mais cette fois par une forme nasalisée *t(e)m-n-ə-, se retrouvera dans le verbe τέμνω, témnō : couper, blesser, découper

Son dérivé τόμος, tómos désignait désignait d’une façon générale la pièce découpée, la partie, le morceau, la tranche, le lopin de terre, ou même …

le rouleau de papyrus

Eh ! Vous l’aurez compris, le tome, ce par quoi on appelle un des volumes d’un ouvrage qui en comporte plusieurs, en est un beau dérivé.
Par le latin tomus.

Victor Hugo, Les Misérables Tome IV

Grumman F-14 Tomcat


Et puis, nous avons encore tous ces mots en tomo- qui reprennent l’idée de découpe, de tranche.

Ainsi, la tomographie est une technique d’imagerie qui permet de reconstruire le volume d’un objet à partir d’une série de mesures effectuées par tranche depuis l’extérieur de cet objet.



L’IRM, imagerie par résonance magnétique nucléaire est typiquement une technique tomographique

(Même si personnellement, je préfère la tomographie à émission mono-photonique, qui a quand même nettement plus de gueule, et rend verts de jalousie les techniciens en IRM lors des conversations en dîners mondains.)


Toujours dérivés de ce grec τόμος, tómos, nos mots en -tome, ou -tomie, sans lesquels les chirurgiens seraient un peu perdus :

anatomie, du grec ancien ἀνατομή, anatomê, dissection, via le latin anatomia, de même sens.

Ou encore trachéotomie, lobotomie, laryngotomie, et ainsi de suite…


C'est dans le monde de la Consultance que
vous pourrez trouver une assez forte
concentration de lobotomisés


Hors du vocabulaire médical, nous pouvons encore citer … dichotomie !
Etat de ce qui est coupé en deux, ou écart entre deux réalités considérées dans un rapport antagonique.

Du grec ancien διχοτομία, dikhotomia, « division en deux parties »




L’entomologie, c’est littéralement la science qui traite des insectes
Entomo- logie.

Entomo- nous arrivant du grec ancien ἔντομα, éntoma, « insectes » de ἔντομος, éntomos, « incisé, entaillé ».

Oui, il faut comprendre que pour nos antiques ancêtres, un insecte était un animal au corps divisé, dont les parties étaient bien délimitées, bien découpées… Pensez à une taille de guêpe.


Surprenant ? Mais les amis, quand nous parlons d’insectes, nous voulons dire la même chose.
Insecte nous venant du latin (animalia) insectus, rigoureusement de même sens !!



Épitomé !
L’abrégé d’un livre, d’une histoire…

un épitomé, c'est par définition très court.

Ici, l'Épitomé de l'antiquité des Gaules et de France,
par feu messire Guillaume Du Bellay,
seigneur de Langey, Avec ce,
un prologue ou préface sur toute son histoire
& le catalogue des livres alléguez en ses
livres de l'antiquité des Gaules, & de France.
Plus sont adjoustées une oraison, & deux
épistres, faites en latin par ledit autheur,
& par luy mesmes traduites de latin en françoy


Enfin, il y a … l’atome.

-tome, précédé d’un superbe α privatif, pour désigner cette particule réputée première, insécable, indivisible




On n’en a pas encore fini, avec cette surprenante *temə-1.
Mais nous en resterons là pour aujourd’hui.

Je vous promets encore quelques surprises pour dimanche prochain…


Je vous souhaite, à toutes et tous, un très heureux dimanche
- j’en profite pour souhaiter une bonne fête des mères à … toutes les mères ! 
En Belgique, c’est ce week-end qu’elles sont fêtées…

Passez une très bonne semaine ; retrouvons-nous… dimanche prochain ?



Frédéric


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